vendredi 28 mars 2008

Chagrin d'école


Librairie Decitre à Lyon, Mercredi 26 Mars. Beaucoup de monde dans les allées qui mènent à la table où siège Daniel Pennac, venu en voisin, participer à une rencontre-dédicace. Deux jeunes filles, placées directement derrière moi dans la file, ironisent sur le comportement de quelques grincheux qui piaffent d'impatience dans les rangs, réclamant une simple signature de la part de l'écrivain qui prend le temps dialoguer avec ses lecteurs. A mon tour, j'échange quelques mots avec l'auteur du Prix Renaudot 2007. Sourire aux lèvres, Il esquisse un petit dessin, à sa façon, sur la page que j'ai délibérément choisie. Une photo pour illustrer ce post? Merci Monsieur Pennac (j'allais écrire Monsieur Malaussène) pour votre disponibilité et votre patience.

Le roman de Daniel Pennac "Chagrin d'école" a ravivé en moi nombre de souvenirs.

Premières années d'école, en cycle primaire. Les religieuses qui avaient pris soin de mon apprentissage de la grammaire et du calcul ne tarissaient pas d'éloges à mon égard. Ma vivacité faisait merveille dans la cour de récréation lorsqu’il s’agissait de courir après un ballon ou d'accéder sur le toit du préau. A l’école du Sacré-Cœur Je faisais l'admiration de mes maîtres et maîtresses (qui me chérissaient, pas seulement en raison de mes résultats scolaires!) dans ce petit village Breton.

Entrée en sixième, 10 ans et demie. Je ressentis une profonde détresse lorsque ma mère me quitta, les larmes aux yeux, derrière la vitre qui nous séparait déjà, au milieu des enfants résignés à l'internat. Il est vrai que les bons pères allaient nous instruire des bienfaits du corps, de l’esprit et de l’âme. Lorsque j’arpentais les longs couloirs sombres qui menaient dans les classes (la mixité n’était pas encore de mise), je n’avais pas conscience que je forgeais une armure dont j’aurai tant de mal à me défaire bien des années plus tard.

A 15 ans je devins féru de littérature et me berçais de la poésie de Clément Marot, Joachim Du Bellay ou Jean de La Fontaine.
Si aujourd'hui, la mémoire me fait parfois défaut ("Et rose, elle a vécu ce que vive les roses, l'espace d'un matin"), je me souviens encore de ces vers de Ronsard, ânonnés quarante ans plus tôt: "Mignonne, allons voir si la rose..."

Ce goût des belles lettres, je le dois à l’un de mes professeurs, curé de son état, qui savait communiquer le plaisir du texte, avec jubilation. Mon aversion pour les mathématiques était inversement proportionnelle à l’amitié que j’entretenais avec les mots qui me tenaient si souvent compagnie.

"Elève moyen, manque de maturité mais, grâce à son travail, obtient des résultats satisfaisants", ainsi pourrais-je résumer ici les annotations de mes professeurs au cours des huit années passées dans cet établissement catholique, face à la baie du Mt St Michel. Cette période n'a pas laissé que de bons souvenirs à l'adolescent trop vite éloigné du cercle familial. Par chance, la pratique assidue du football permit donner libre cours à mes talents et absorba une bonne partie de mon énergie. Peut-être aurais-je pu prétendre à une carrière professionnelle! Mais là n’était pas ma destinée.

Dans "Chagrin d'école" Daniel Pennac raconte avec beaucoup de verve et d'humour les difficultés qui furent les siennes sur les bancs de l'école. L'analyse de son propre vécu va chercher les causes de l'échec scolaire ailleurs et plus profondément que ne le font les soi-disants spécialistes de l'analyse psycho-socio-économique et politique. Quand le jeune cancre devint professeur des écoles, il possédait sans doute quelques clés pour transmettre le désir d'apprendre, mêmes aux élèves les plus récalcitrants.

Extrait:
- Vous passez votre temps à vous réfugier dans les méthodes, alors qu'au fond vous vous savez très bien que la méthode ne suffit pas; il lui manque quelque chose.
- Qu'est ce qui lui manque?
- Je ne peux pas le dire.
- Pourquoi?
- C'est un gros mot.
- Pire qu'empathie?
- Sans comparaison. un mot que tu ne peux absolument pas prononcer dans une école, un lycée, une fac ou tout ce qui y ressemble.
- A savoir?
- Non vraiment, je ne peux pas...
- Allez, vas-y!
- Je ne peux pas, je te dis! Si tu sors ce mot en parlant d'instruction, tu te fais lyncher.
- ...
- ...
- ...
- L'amour.