1962. J'avais tout juste dix ans. C'était l'époque où la télévision française projetait encore des films à 20h30. Je voyais pour la première fois "La strada" sur le petit écran de télévision chez notre voisin, le boulanger . Le personnage lunaire et candide de Gelsomina contrastait avec la force brute du grand Zampano (inoubliable Antony Quinn). Le magicien s'appelait Frederico Fellini, sa muse Giulietta Masina.
Quelques années plus tard, je découvrais Il Bidone, Il Vitelloni, Les nuits de Cabiria, La Dolce Vita, films de la période du néo-réalisme italien. La fameuse scène où Anita Ekberg et Marcello Mastroianni s'étreignent dans les eaux de la fontaine de Trevi est restée dans toutes les mémoires. Marcello, l'interprète de prédilection, était aussi indissociable des films de Fellini que les musiques populaires de Nino Rota.
La rencontre avec le travail analytique de Jung lui ouvre les portes du rêve et de l'inconscient.Si Huit et demi le conduit à analyser son propre moi masculin ( avec Marcello, le double par excellence), Juliette des esprits (Giulietta) incarne l'archétype de l'épouse aux prises avec ses contradictions.
Avec Fellini-Satyricon, Les clowns, Fellini-Roma, Amarcord, Casanova, La Cité de femmes, il nous offre des films baroques, délirants, parfois jusqu'au grotesque, entre mythe et caricature, avec, en toile de fond, une civilisation en crise. Et vogue le navire, Ginger et Fred, Intervista, évoquent enfin, avec mélancolie, la mort du cinéma.
En vingt quatre films, ce cinéaste hors du commun a bâti une oeuvre où s'imbriquent en permanence réalité sociale, spirituelle, métaphysique, et obsessions intimes. Un oeuvre poétique, lyrique, à la fois personnelle et universelle.
Frederico et Giulietta s'étaient rencontrés en 1943. Frédérico partira en Octobre 1993. Giulietta le rejoindra 6 mois plus tard. Il resteront, à mes yeux, les fidèles complices d'un cinéma onirique et visionnaire.
