
Journal "Libération" Mardi dernier. Sandrine Bonnaire en pleine page de couverture avec ce titre : Le "J'accuse" de Sandrine Bonnaire: "Ma soeur a été endormie, enfermée, droguée, et tout cela a servi a quoi? Pendant ces années là, on ne comprenait pas. On nous disait que c'était nécessaire, qu'il fallait l'interner. Et nous, avec ses soeurs, on voyait Sabine décliner, décliner..."
Nous connaissons tous Sandrine Bonnaire, actrice sensible et délicate qui a tourné avec les plus grands réalisateurs français: Chabrol, Pialat, Varda, Rivette, Wargnier, Leconte, Doillon. Alors quand elle prend la caméra pour faire un film documentaire (qui sort en salle cette semaine après sa diffusion sur Arte en décembre), on se dit que la chose est sérieuse. Qu'est ce qui a bien pu pousser Sandrine à voler au secours de sa soeur Sabine, autiste âgée aujourd'hui de 38 ans?
"Elle s'appelle Sabine" est le récit de son histoire filmée par la comédienne qui témoigne de sa vie aujourd'hui (le film a été tourné entre juin 2006 et février 2007) dans une structure adaptée, un foyer d'accueil en Charente. A travers des archives personnelles, elle trace le portrait d' une jeune femme dont le développement et les dons multiples ont été broyés par un système psychiatrique défaillant. Démonstration par l'image de la pénurie des centres spécialisés et des conséquences dramatiques rapportées à l'autisme dont souffre sa jeune soeur. Une enfant sauvage pour qui un séjour de 4 ans dans un hôpital psychiatrique aura été fatal. Absence de diagnostic réel, médication lourde auront tôt fait de détruire l'énorme potentiel qu'elle révélait à l'âge de 12 ans lorsqu'elle jouait Bach avec mélancolie, qu'elle visitait New-York ou lorsqu'elle se baignait dans l'océan. Cette jeune fille espiègle, vivante, fragile et troublante, est aujourd'hui méconnaissable. Sandrine ne filme pas seulement sa soeur, elle filme aussi ses compagnons d'infortune qui ont atterris dans ce même lieu. Et l'on ne peut qu'imaginer ce qui se serait passer si elle avait été accueilli, dès le début de sa maladie, par des accompagnants exemplaires de patience, d'amour et de sang-froid, comme ceux qui sont à ses cotés aujourd'hui.

A qui incombe ce désastre? Qui est responsable de cette situation d'abandon? La maladie de Sabine ou l'institution qui n'a pas su prendre en charge son problème? Certes Sabine était malade, certes elle avait besoin d'être soignée pour éviter que ses comportements d'automutilation ne lui portent préjudice. Mais Sabine est ressortie, anéantie, détruite. L'enfermement a-t-il exacerbé sa violence?
Revenue dans ces hôpitaux, Sandrine interroge le corps médical. elle veut comprendre. Mais le constat est désespérant: "Ce n'est pas de la colère, c'est du chagrin. Tout ce qu'on a entendu est accablant. Avec mes soeurs, nous sommes reparties avec un noeud dans la gorge et une grande tristesse. De ce retour, on n'a rien appris, et c'est cela qui est terrible".
Une société, dit Alexis de Tocqueville, se juge à l'état de ses prisons. Nos hôpitaux psychiatriques publics ressemblent trop à un univers carcéral. La compétence des médecins et le dévouement des infirmiers ne sont pas en cause. C'est la faillite d'un système de soin inadapté, inopérant incapable de répondre efficacement à certaines souffrances. On isole les plus vulnérables, on les bourre d'antipsychotiques destinés à la tranquillité du service au lieu de les insérer dans de petites structures avec de vrais accompagnants. La révolte de Sandrine touche par l'émotion qui affleure dans son regard, mais aussi dans son impuissance face à l'institution en panne. On estime à 40 000 le nombre de lits dans les différents hôpitaux psychiatriques. Il y en avait le double en 1990. Dans le même temps le nombre de patients suivis en psychiatrie a été multiplié par deux. Cherchez l'erreur!