
Teintée de mysticisme, l'oeuvre d'Andrei Tarkovski est considérée comme l'une des plus originales et des plus abouties du cinéma du XXème siècle, à l'instar d'un Bergman ou d'un Robert Bresson avec lesquels il partage des thèmes tels que la présence de la terre, la solitudes des êtres et leurs rêves, la philosophie et la spiritualité.
Si Andreï Roublev, Solaris, Le Miroir, Stalker, comptent parmi les oeuvres majeures du cinéaste, le Sacrifice est son film testament. Dédié à son fils, "avec espoir et confiance", Il récapitule les thèmes fondateurs de son oeuvre, ces thèmes "qui viennent du fond de l'âme".
Critique, professeur réputé, Alexandre a quitté son métier de comédien pour vivre entouré des siens sur l'île de Gotland, en quête de l'unité (perdue) entre l'homme et la nature. Magnifique plan séquence au cours duquel il s'adresse à son petit garçon pour lui raconter une légende japonaise: en arrosant tous les jours, à heure fixe le pied de l'arbre mort et en y croyant, il reprendra vie. Le soir de son anniversaire, un événement inexplicable se produit: la télévision annonce qu'un conflit nucléaire vient d'éclater. Désespéré, il adresse une prière à Dieu et fait le serment de tout quitter si le péril est écarté...
" Notre Père... Il n'y aura plus ni cités, ni villages, plus d'oiseaux sous la voûte des cieux et plus d'eau au fond des puits. je te donnerai tout ce que j'ai. Je quitterai ma famille que pourtant j'adore, je mettrai le feu à la maison, au petit je vais renoncer, je deviendrai muet et ne parlerai de toute mon existence. Je suis prêt à renoncer à ce qui me rattache maintenant à la vie. Fais Seigneur que tout redevienne comme avant, comme ce matin, comme hier..."

Un peu plus tard, alors que le monde a effacé jusqu'au souvenir de la menace, il accomplit sa terrible promesse en mettant le feu à sa maison et se laisse emmener par une ambulance sans rien dire... Sous l'arbre mort qu'il continue d'arroser, Petit Garçon rêve. D'une voix enrouée, il prononce ces mots: "Au commencement était le Verbe. Pourquoi Papa?"
Tout est recommencement.
Parabole sur la disposition à se sacrifier soi-même" pour sauver le monde du matérialisme destructeur de la société contemporaine, de l'emprise de la consommation, de l'absence de profondeur dans les relations humaines, du vide spirituel, l'homme est, selon Tarkovski, placé devant un choix redoutable: soit il s'obstine dans cette voie d'aliénation, soit il revient vers Dieu.
Ce cinéaste russe nous touche par la grâce et la beauté des longs plans séquences qui laissent au spectateur le temps de vagabonder, de contempler, de réfléchir. L'émotion qu'il fait naître s'apparente à celle d'un peintre de l'absolu. Bach et Léonard de Vinci sont d'ailleurs convoqués dans cette rêverie métaphysique.
Andrei Tarkovski est décédé en 1986 des suites d'un cancer. Il n'avait que 54 ans. Dans "Le Temps scellé", il écrivait:
"L'image n'est pas une quelconque idée exprimée par le réalisateur, mais tout un monde miroité dans une goutte d'eau". Quel est alors l'essentiel du travail d'un réalisateur? De sculpter dans le temps".
"Si l'artiste existe, c'est parce que le monde n'est pas parfait. Seule la beauté peut sauver le monde".
(Andrei Tarkovski, le livre, et, Le Sacrifice, le film, cette semaine dans le kiosques, Editions Le Monde et Les Cahiers du Cinéma)