Le dernier point, que je vais évoquer, en conclusion, c’est ce que je vais appeler la relation. Dans l’idée de relation, il y a plus que dans l’idée de communication. Je peux communiquer, sans pour autant entrer en relation avec quelqu’un. Dans l’idée de relation, il y a celle de rencontre, un lien social avec telle ou telle personne. Et pour un enfant, c’est très important. Il entre en relation d’abord avec son milieu familial, puis scolaire, environnemental, où il va fréquenter ses copains. L’enfant a des fréquentations, mais au sein de ces fréquentations, il va nouer des relations. Je peux côtoyer quelqu’un, lui dire bonjour, sans pour autant avoir une relation. Une relation implique que l’on s’est reconnu mutuellement, comme personne, et que l’on éprouve un désir et un plaisir à dialoguer. Je distingue le dialogue, de la simple communication. Le dialogue, c’est deux personnes qui se parlent, la rencontre de deux paroles. La communication ne peut être que l’administration d’un discours. Or, est-ce qu’un enfant de 6/8 ans a beaucoup d’occasion de dialoguer. Car pour être en dialogue, il faut que sa parole soit reconnue à part entière. Or les adultes parlent souvent aux enfants sur le mode prescriptif, sur le mode de donation de parole, pour raconter une histoire. Mais le dialogue, la reconnaissance de la parole, l’accepter, l’écouter, sans juger, tout de suite, sans être agacé, cela veut dire reconnaître sa parole. Il y a un moyen très simple de le faire. L’enfant sait, lorsqu’il parle très vite, que l’adulte va juger, critiquer, ou conseiller. Sa parole sera d’emblée constituée en objet d’appréciation pour l’adulte. Celui-ci mettra un veto. L’enfant n’a pas l’impression d’être souvent écouté. Pour être écouté, il mime l’adulte, ce qui lui fait perdre sa parole. Alors, il fait semblant de faire comme l’adulte, de la même façon que lorsque les adultes font le langage bébé. « Ca y est, le bébé il a fini la caca, dans son popo. » Là le gamin ne sait pas encore parler, mais il a envie de dire « ça va pas la tête. » ce n’est pas possible, je ne parle pas comme ça mon pauvre vieux. » Alors les enfants font le langage petit adulte, petit singe savant. « Alors tu sais, je voudrais te dire. » Il n’a rien à dire à ce moment-là. Mais il se sent écouté, il trouvera quelque chose à dire.
Le moyen pour faire comprendre à un enfant qu’on l’écoute, c’est d’être capable à certain moment de reformuler ce qu’il a dit. En pédagogie, c’est essentiel. Ne jamais répondre directement à un enfant sans avoir reformulé ce qu’il a dit. Ceci a d’abord une signification symbolique forte, ça veut dire: je t’ai écouté, entendu, je tiens compte de ce que tu as dit. En reprenant, je valorise sa parole. Je peux ne pas être d’accord et être très ferme après, mais j’ai accueilli sa parole. Si vous reformulez avec un enfant, la plupart du temps, il est surpris. Plus il est surpris, plus cela signifie qu’il n’a pas l’habitude d’être écouté. On ne va pas, non plus, prendre la manie de la reformulation. De temps en temps, avec les élèves qui voudraient dire des choses, qu’ils n’osent pas. Un bref temps de reformulation, de temps en temps. Cela montre que je ne suis pas seulement quelqu’un qui dirige, décide, prescrit, conseille, mais je suis quelqu’un qui accepte l’enfant comme interlocuteur. Le reconnaître comme personne, c’est contribuer à lui donner confiance en lui. Un enfant s’affirme dans sa parole. Et, vous voyez que dans l’enseignement de la danse, accueillir la parole, c’est favoriser l’expression du corps. La confiance se joue là-dessus, parce que l’enfant sait très bien que pour un adulte, parler, c’est pour juger, critiquer, interdire. La parole est forte. J’accrois les chances qu’il prenne confiance en lui, qu’il développe cette estime de soi positive, qu’il s’investisse, qu’il désire. C’est d’autant plus important de le faire, car une journée pour un enfant, c’est une suite de micro-séparations, et micro-retrouvailles. Il quitte une personne, il en retrouve une autre. Les parents parlent souvent des enfants comme si c’étaient des objets. Les parents sont tellement présents, qu’on parle avec les parents, et on parle moins avec les enfants. Dans la mesure où les parents sont moins présents, c’est mieux. Le regard des parents est un regard qui aime, qui protège, mais c’est surtout un regard qui désire à la place de. L’enfant ne peut pas désirer s’il est sous pression. Personne ne désire sous pression. Sous pression, on exécute. Et plus un enfant sera en dialogue avec vous, plus il sera en situation d’expression.
Extraits d'une conférence de Gérard Guillot, philosophe de l'éducation, CND Lyon avril 1998