dimanche 30 mars 2008

Le goût de l'effort


Pour pouvoir aider quelqu’un à apprendre, il faut aller à sa rencontre, mais à condition que la personne vienne à notre rencontre. Je fais cinquante pour cent du chemin, et l’autre fait cinquante pour cent du chemin, et là, on peut se rencontrer. Si je fais cent pour cent du chemin, je ne l’aide pas, c’est de l’assistanat. Ce n’est plus un sujet mais un objet. Dans la pédagogie, il y a un geste vers l’autre, mais il y a une demande exigeante. Exigeant, ça veut dire « Je suis là pour t’aider. » Aider, ne veut pas dire faire à sa place. C’est organiser une situation pour qu’il fournisse des efforts. Donc, aider, c’est aider à faire des efforts. Aider, ce n’est pas masquer l’effort, mais le promouvoir, et c’est très significatif de notre société, que le mot effort soit devenu péjoratif. Parce que effort vient du verbe s’efforcer, et s’efforcer veut dire mettre ses forces en jeu, c’est-à-dire investir son énergie. Spontanément, un jeune enfant qui construit avec des Lego, en tant qu’adulte, sur la base de son édifice, cela risque de tomber, c’est pas grave si ça tombe, cela l’énerve, et il recommence deux, trois fois, il joue. Personne ne lui a rien demandé. Il fournit des efforts. Il a le sens spontané et le goût de l’effort. Et le mot effort devient à l’école, synonyme de corvée. Pourquoi, parce qu’on ne demande pas à nos élèves d’investir leurs forces au sens stricte, on leur demande, d’emblée, de s’installer dans une forme, la forme du résultat que l’on veut obtenir. Quand je regarde un spectacle de danse, quand je regarde un tableau, quand j’écoute une musique, bien sûr qu’une forme se déploie, mais dans cette forme, ce qui m’intéresse, c’est le jeu subtil des forces et des énergies qui la traversent. La forme est un résultat. Or si la pédagogie, c’est s’installer dans un résultat sans faire le chemin vers ce résultat, cela ne marche pas. La pédagogie, c’est susciter l’effort, au sens de l’investissement des forces, de l’énergie pour modeler une forme, et ce n’est pas s’installer dans une forme académique. Déjà là, c’est travailler le processus pour travailler le produit. Et non pas privilégier le produit, sans le processus. C’est le cheminement qui compte, avant que ce ne soit le résultat. L’enfant aime l’effort mais il n’aime pas les formes déjà établies, dans lesquelles on lui demande de s’installer comme dans le cercueil de sa réussite. Lui, ce qu’il veut, c’est faire, essayer. D’où le droit à l’erreur.

Extraits d'une conférence de Gérard Guillot, philosophe de l'éducation, CND Lyon avril 1998