lundi 7 avril 2008

Mai 68 et après!


La fièvre anniversaire de mai 68 s'est emparée des médias. Livres, revues, expositions, Télévisions, Radios, Internet, débats, polémiques, témoignages et récits, essais et analyses, photos et dessins sont à la une. "Que reste-t-il de 68?", interroge le Courrier international. "L"utopie sexuelle" fait l'objet d'un cahier spécial de Libération. "Mai 1968, l'héritage", titre Télérama dans un numéro spécial. Les fantômes de Dany le Rouge et de Alain Geismar refont irruption sur nos petits écrans. Liquider l'héritage, disent certains, comme si l'esprit de 68 était responsable de tous nos maux, comme si la peur était le moteur de l'avenir. Cette anniversaire est l'occasion de faire l'inventaire de Mai 68 et des années qui ont suivi.

C'était il y a 40 ans. J’étais en classe de première quand éclatèrent les événements de 68. Interne la semaine, c’est un peu par hasard, au cours d'un week-end, que j'entendis les commentaires haletants distillés en direct par la TSF. L'heure était grave. Les étudiants avaient envahis la Sorbonne et, retranchés derrière les barricades, affrontaient une police nouvellement équipée de casques, de boucliers et de matraques. Je tentai d’obtenir quelques explications auprès de mes parents visiblement dépassés. Ma mère se mit en colère en me rappelant qu’à la maison on ne cause pas de ces choses là. Je commençais à affirmer haut et fort mes convictions personnelles. Insatisfactions, interrogations, engagements face à une société bloquée, sans utopie et sans avenir. Comme la plupart des acteurs de cette époque, je n’avais pas conscience que ces évènements allaient marquer à ce point l’histoire politique et sociale de la France.

Ce fut le temps de la révolte, le temps des révolutions. "Il est interdit d'interdire", "Sous les pavés, la plage", "L'imagination au pouvoir", "Jouir sans entraves", "Soyez réalistes, demandez l'impossible", "Nous sommes tous des juifs allemands" et jusqu'au "CRS, SS!", ces slogans libertaires sont restés dans nos mémoires. Des brèches se sont ouvertes. La guerre du Vietnam battait son plein, la révolution culturelle était en marche dans la Chine de Mao, la guerre des Six jours avait relancé le conflit Israëlo-arabe, les affiches de Che Guevara étaient placardées sur les murs de nos chambres, Le festival de Woodstock rassemblait plus de 400 000 jeunes pour trois jours de paix et de musique, le Printemps de Prague avait fait naître l'espoir d'un socialisme à visage humain.

68 a entamé ou accéléré un processus de transformation de la société. Les années 70 apportèrent leur lot d’expériences nouvelles. Le "Flower Power"des hippies s'était propagé un peu partout dans le monde. De la marijuana consommée avec modération aux soirées alcoolisées, tout semblait digne d’intérêt dès lors que nous trouvions matière à explorer des continents inconnus ou interdits. L’esprit communautaire avait le vent en poupe. C'était le temps des amours libres et du mariage à l'essai. Les partisans de l'anti-psychiatrie se reconnaissaient dans "Family life". Les salariés de Lip mettaient en actes les principes de l'autogestion. Les féministes rejetaient en bloc la société mâle et obtenaient le droit à l'avortement. Les petits-bourgeois étaient voués au gémonies. Les objecteurs de conscience rejoignaient les militants écologistes du Larzac. La prolifération nucléaire était au centre de tous les débats. Le PSU se voulait rassembleur d'une deuxième gauche. Maspero éditait sa "petite collection". L'homosexualité n'était plus un délit. Les journaux et magazines Actuel, Sexpol, Charlie Hebdo, Politique Hebdo, et le Monde libertaire figuraient en bonne place dans les kiosques à journaux. On assistait à l'éclosion des radios libres, au printemps des Maison de la Culture, au Théâtre du corps et du cri cher au Living Théâtre, et les cinéastes de "la nouvelle vague" prônaient un cinéma-vérité. Nous avions les cheveux longs et des idées à revendre.

La remise en cause du travail, la libération sexuelle,la crise de l'autorité, la démocratisation de l'enseignement, l'évolution de la politique, la lutte anti-militariste, la non-violence, l'égalité entre les sexes, la droit à l'avortement, la liberté syndicale au sein de l'entreprise, la liberté de la presse, l'indépendance de l'audiovisuel, la critique de la société de consommation, la nourriture biologique, l'intérêt pour l'écologie et l'environnement, toutes ces questions était déjà au coeur des préoccupations d'une génération de soixante-huitards qui aspirait à la liberté et revendiquait le droit au bonheur.

Des années 80 à aujourd'hui, l'espoir s'est peu à peu évanoui. L'économie a pris le pas sur le social. La mondialisation a imposé ses règles et son rythme de croissance. De compromis en compromissions. La pauvreté a étendue son spectre aux sans logis, aux RMistes, aux Restos du Coeur et à tous les laissés pour compte. Le Sida est venu frappé lourdement la nouvelle génération. la Banquise s'enfonce chaque jour un peu plus. La pollution gangrène nos poumons. Les cancers se multiplient et la morosité gagne du terrain.


Il ne s'agit pas d'ériger cette période en mythe. "Forget 68" va même jusqu'à dire Daniel Cohn-Bendit, aujourd'hui coprésident du groupe des Verts au Parlement européen." Parce que discuter sans fin sur Mai 68 est souvent une manière d'éviter de parler des problèmes d'aujourd'hui". Car si 68 a changé bien des choses, cette révolte existentielle n'a pas trouvé son aboutissement. Elle ne s'est pas traduite en discours politique et les problèmes demeurent. Quid du réchauffement de la planète! Quid du nucléaire! Quid de l'écologie et des questions environnementales! Quid des questions du chômage et de la pauvreté! Quid de l'enseignement scolaire et universitaire! Quid de l'avenir de l'information! Quid de la consommation! Quid des discriminations! Quid des conflits qui ensanglantent notre monde! Quid de la violence! Quid de la mondialisation!

Constat d'échec ou constat d'impuissance? Le monde change, les hommes changent, la pensée évolue, mais l'homme reste cet individu imparfait en quête d'un Graal qui sans cesse se dérobe. La révolution, la seule vraie, reste sans doute celle que nous pouvons entamer chacun dans notre sphère personnelle et dans les rapports que nous avons avec les autres. Celle de la révolution intérieure qui peut changer notre manière d'être et de vivre pour un monde plus juste et plus humain. Installer l'utopie au coeur de notre réalité individuelle, voilà qui peut encore nous mobiliser.

(NB: France 2 diffuse demain soir, Mardi à 20h50, "68", un excellent documentaire de Patrick Rotman)