Dans l'Antiquité, ceux qui appartenaient à une même école philosophique, vivaient ensemble et de la même manière. Platoniciens, Aristotéliciens, Epicuriens, ils attendaient de la philosophie autre chose que le seul partage des idées: une mutation de la vie. Sénèque et les Stoïciens n'échappent pas à cette règle: assurer le bonheur par une transformation conjointe de la pensée et de la manière de vivre afin d'avoir l'âme sereine. L'ascèse a pour but de modifier son existence pour "calmer la tempête de l'âme", échapper aux fluctuations des événements et des émotions et trouver l'équilibre à l'intérieur de soi.
Bien agir, se comporter de manières sage et vertueuse, c'est pour les Stoïciens, agir "selon la nature". La vertu consiste à faire ce qui correspond à la nature profonde de l'homme. Il s'agit pour cela d'être conforme à ce que nous sommes et de remplir correctement le rôle que l'ordre de l'univers nous a assigné. Que l'on soit riche ou pauvre, puissant ou misérable, chacun doit faire ce qui lui revient.
Roger-Pol Droit rappelle cette distinction fondamentale, selon les Stoïciens entre "ce qui dépend de nous" et "ce qui ne dépend pas de nous" au travers d'un exemple:
"Imaginons que je doive prendre un bateau pour faire un long voyage. qu'est-ce qui dépend de moi? Choisir la meilleure compagnie, vérifier éventuellement que le navire est en bon état, préférer la saison où il n' y a pas de tempêtes. Bref, je peux tenir compte d'une série d'indices qui assureront ma sécurité.
Si, une fois en mer, le vent se lève, les vagues emportent le navire, la plus terrible des tempêtes met mon existence en péril, qu'est-ce qui dépend de moi? Calmer le tempête? Sûrement pas. Conduire le bateau, malgré tout, à bon port? Non plus. La seule chose qui soit en mon pouvoir, c'est de contrôler mon esprit, de maîtriser ma volonté, de comprendre que je ne peux rien, sauf m'employer, ici et maintenant, à calmer la tempête de mon propre esprit."
Tout ce qui est extérieur peut varier, l'essentiel est que moi, je ne varie pas en fonction de ces circonstances. Telle et la vertu qui assure au stage stoïcien une permanente tranquillité d'âme. Swamiji Prajnânpad ou Arnaud Desjardins n'auraient sans doute pas dit autre chose. Un simple retour aux sources. Dans "La vie heureuse", la Brièveté de la vie" et "Lettres à Lucilius", Sènèque expose et explique, dans un langage simple et clair, les principes du stoïcisme et leur application concrète dans la vie quotidienne. Ces textes méritent d'être re-visités.
Extraits de "Lettres à Lucilius":
"Fais donc, mon cher Lucilius, ce que tu écris que tu fais, embrasse toutes les heures; de la sorte tu dépendras moins du lendemain quand tu auras mis la main sur l'aujourd'hui. Pendant qu'on la diffère, la vie passe en courant. (lettre 1)
La première preuve d'une intelligence ordonnée, c'est à mon avis, de pouvoir s'arrêter et s'attarder avec soi...On n'est nulle part quand on est partout. A passer toute sa vie en voyage, voici ce qui arrive: on a beaucoup de chambre d'hôtes, aucune amitié. (lettre 2)
Réfléchis longtemps pour savoir sit tu dois prendre quelqu'un en amitié. une fois décidé, accueille-le de tout ton coeur; parle-lui aussi hardiment qu'à toi-même. (lettre 3)
Entraine-toi chaque jour à pouvoir, d'une âme égale, abandonner le vie que bien des gens tiennent serrée dans leur bras comme on s'accroche aux ronces et aux rochers quand on est emporté par un torrent. La plupart sont balllotés misérablement entre la peur de la mort et les tourments de la vie, et, tout en ne voulant pas vivre, ils ne savent pas mourir. (lettre 4)
Les animaux fuient à la vue du danger; après s'être enfuis,ils ne se font plus de souci; nous, nous sommes torturés et par l'avenir et par le passé. Beaucoup de nos biens nous nuisent, le souvenir ramène, en effet, le tourment de la crainte, la prévoyance l'anticipe; nul n'est malheureux seulement à cause du présent. Porte-toi bien. (lettre 5)
Il est évident pour toi, Lucilius, je le sais, que personne ne peut vivre heureux, ni même de façon tolérable sans zèle pour la sagesse, que la vie heureuse se réalise par la sagesse parfaite, du reste, même un vie tolérable par l'ébauche de la sagesse. Mais ce qui est évident, on doit l'affermir et l'enfoncer plus profondément en soi par un entraînement quotidien. On a plus de peine à tenir ses résolutions qu'à en prendre d'honorables. On doit persévérer et gagner en force par un zèle assidu, jusqu'à ce qu'une bonne intelligence remplace ce qui est bonne volonté. (lettre 16)"
Il nous faut relire Sénèque. Bon week-end.
(Sénèque et les Stoïciens, 16ème volume du "Monde de la philosophie", cette semaine dans les kiosques)