mardi 3 juin 2008

De la danse Butoh


Le Butoh est une forme de danse contemporaine japonaise. Très lente, cette « danse des ténèbres » a été créée d'abord en réaction à l'occidentalisation du Japon, (inspirée entre autre par l'expressionnisme allemand), dans la lignée du théâtre Nô (lenteur, envoûtement, minimalisme, poésie,). « Comment peut-on encore danser après l'horreur d'Hiroshima ? » s'interrogent alors les artistes d'une génération enfantée dans la douleur du corps. En général cette danse est faite par des hommes et des femmes quasi nus et souvent peints de blanc.

J'ai vu le spectacle "Zarathoustra" à la Maison de la Culture de Rennes en 1982. L'article que j'écrivais dans le magazine Rennes Poche témoigne de cette découverte:

De la danse Butoh, j’avais encore en mémoire ces images troublantes de « graines de Cumquat », le spectacle de Shankaï Juku. Ces hommes nus, aux crânes rasés, suspendus par les pieds, avaient quelque chose de provoquant et de séduisant à la fois. Avec «Zarathoustra », les sept femmes de la compagnie Ariadone nous invitent à un voyage aussi captivant dans les profondeurs abyssales de l’être en mutation ; un voyage au-delà de la mort.


La démarche de Carlotta Ikeda tente d’associer la lumière Nietzschéenne de l’éternel retour à celle des ténèbres de la danse Butoh. Nous voilà bien loin de la tradition japonaise du Nô ou du théâtre Kabuki. Bien loin aussi de la danse esthétisante occidentale. Cette danse théâtralisée échappe à toute logique et à toute compréhension traditionnelle. Plus de repères, plus de références. Difficile alors de parler de ce spectacle sans évoquer brièvement cette succession de tableaux impressionnants. La lumière se fait sur Carlotta vue au travers d’un voile de tulle maculé de taches noirâtres. Nue, allongée sur un miroir incliné, elle s’éveille avec cette lenteur extrême propre aux orientaux. Deux geishas aux seins nus, tout droit sorties des peintures de Hans Bellmer, s’exhibent, le visage caché sous des corolles de parapluies, retenues par deux serviteurs zélés. Dans la forêt vierge, des sorcières vêtues de haillons, la chevelure hirsute, le visage grimaçant, laissent échapper des cris rauques. Retrouvant le stade de l’animalité, elles croupissent comme un magma d’insectes vermiformes. La musique de Brian Eno crée une atmosphère légère et aérienne. Un sentiment de séduction se mêle à la répulsion lorsque cet être hybride, mi-femme mi-bête, se lèche les pieds avec délectation. Beauté et laideur s’entrechoquent pour laisser place à la fascination. Corps larvés, corps prostrés, emboîtés comme les anneaux d’une chenille, qui bientôt se séparent et s’engagent dans un combat fratricide où la mort semble filmée au ralenti. Chante la ballade du temps qui passe.

Vêtue d’une longue robe rouge, Carlotta joue avec la couche miroir qui se dédouble, renvoyant au passage les feux éblouissants des projecteurs. Symbole purificateur, une pluie de sel et de lumière coule, fluide, sur des corps lovés en lotus qui tentent de renaître afin d’exorciser la mort. Souffle qui progresse jusqu’au cataclysme final. Enfer d’Hiroshima. Paix enfin retrouvée tandis que la musique de Satie nous aide à sortir de la torpeur.
Une étonnante maîtrise des corps, un sens remarquable de la mise en scène, une plasticité sans complaisance, une vision apocalyptique d’une impressionnante beauté.