"Peux-t-on désirer sans souffrir?" C'était, hier, l'un des sujets du Bac de Philo. Cette question est au coeur de la recherche spirituelle. Voici quelques textes susceptibles de nourrir la réflexion:
"Depuis Spinoza nous savons que lorsque nous désirons un objet, ce n’est pas en raison de ses qualités immanentes et objectives, mais en raison de la valeur que nous lui attribuons. La dépendance vient de la valeur que l’on a donné à un être ou à un objet. Après l’aveuglement, la satisfaction du désir, nous allons pouvoir décider de nous reprendre, et dès lors mettre en œuvre un nouveau désir. On découvre enfin que le désir, c’est l’existence elle-même comme dynamisme et que l’éthique consiste à trouver les voies et les chemins pour faire en sorte que l’existence soit une jouissance d’exister, une jouissance d’être". (Robert Misrahi, Entre désir et renoncement)
"Sans désir et sans amour, aucune œuvre d’art ne pourrait voir le jour ; ils sont la sève de toute création. Ce qu’il y a de beau dans le désir, c’est qu’il accepte son incomplétude, il fait de la distance qui le sépare de l’objet désiré un trajet, une aventure et non un obstacle. Le vrai désir ne vise pas la possession, il est libération, mise en chemin, tension ; il est désir de connaissance, de jouissance toujours reconnaissante. Le désir épouse amoureusement, érotiquement, le manque. Désirer c’est savoir attendre. On ne peut pas vivre sans désirer. Ce qu’on peut souhaiter, c’est qu’au fur et à mesure du temps, il s’épure, il s’allège, il s’illumine, c’est que l’horizon vers lequel il tend soit le plus ouvert possible." (Sylvie Germain, Entre désir et renoncement)
"Il y a dans l’homme un désir qu’aucune chose désirable ne peut combler. Il s’agit d’assumer le manque, d’accepter qu’il y ait en nous un désir qui ne sera jamais comblé. Il y a en nous un désir d’infini qui est fait pour l’infini et il faut cesser de demander l’infini aux êtres finis, cesser de demander à cet homme, à cette femme d’être tout, parce qu’ils ne sont pas tout. Etre adulte, c’est assumer le manque." (Jean-Yves Leloup)
"Dès qu’il y a désir, il y a tension, tension physique, tension émotionnelle et tension mentale. On ne peut pas tuer les désirs, on peut seulement les transformer. Tant que subsistent en nous les vasanas, les tendances profondes, enracinées, nous croyons encore que c’est dans la satisfaction des désirs que nous allons trouver la plénitude. Vouloir brutalement supprimer ses désirs ne fera que les renforcer.
Le chemin comporte : la satisfaction des désirs qui peuvent être satisfaits ; la compréhension que chaque désir est en vérité un désir d’absolu ; la certitude qu’aucun désir ne sera satisfait vraiment parce qu’on est toujours déçu du fait qu’on a comme critère inconscient l’Absolu.
Voyez qu’en face de la puissance des désirs, deux comportements sont possibles : aller de désir en désir, de sa naissance jusqu’à sa mort, comme presque la totalité des gens, ou aspirer à la réalisation de l’âtma, laquelle implique l’effacement de tous ces désirs.
Démasquer le serpent pour voir la corde s’effectue à des séries de niveaux successifs, de plus en plus intérieurs, de plus en plus subtils. Voilà pourquoi on aime, on déteste, on construit, on détruit, on va, on vient, on s’unit, on se sépare, on se bat, on se réconcilie : pour un serpent qui n’existe pas. Et toute la vie de l’homme, la vie intime de l’homme, ses espoirs, ses souffrances, ses joies, ses révoltes, ses projets, ses plans, ses actions, ses réactions sont tout aussi dérisoires que l’agitation de cet homme tournant autour d’un serpent qui n’existe pas. Voilà le suprême enseignement du Vedanta." (Arnaud Desjardins, A la recherche du Soi)