En allant voir le film de Laurent Cantet "Entre les murs", une question hantait mon esprit: comment un film sur l'école, réalisé avec des élèves d'une classe de 4ème dans un collège parisien réputé difficile, avait-il pu obtenir la Palme d'or du prestigieux Festival de Cannes, présidé par Sean Penn?
Pendant toute la durée du film, j'ai été happé, captivé, pris en tenailles par un enchaînement de situations qui ne laissent aucun répit au spectateur. Cependant, à la sortie de la salle, d'où vient ce sentiment de malaise et de déception? D'un trop plein sans doute, trop de tchatche, trop de bons mots, trop de joutes verbales, trop de rythme dans le montage, trop d'incidents divers qui reflètent sans doute une certaine réalité de la vie de la classe mais qui, dans un concentré de 2heures, ont parfois du mal à passer.
Il faut se rappeler l'historique du film: un scénario écrit par François Bigaudeau (qui joue ici son propre rôle) et Laurent Cantet (le réalisateur), des élèves choisis au terme d'un casting en fonction de stéréotypes (la forte tête, le docile, la rebelle, le rigolo, le modèle, le complexé...) et de leur capacité à jouer (surjouer!) les séquences orchestrées pour en mettre plein la vue aux spectateurs incrédules, des dialogues construits, réécrits pour le besoin du film, des improvisations pas si improvisées que cela.
Adapté d'un roman du même François Bigaudeau paru en 2006 (Lauréat du prix France Culture-Télérama), le film nous montre la difficulté pour un professeur de français (qui puise dans sa propre expérience) de transmettre un patrimoine culturel très éloigné des préoccupations immédiates de ses jeunes élèves. Et la langue elle-même devient un véritable enjeu. La séquence sur l'emploi de l'imparfait du subjonctif est à cet égard très révélatrice: "Maman, il fallait que je fusse...", sonne curieusement dans la bouche de la jeune beurette.
Alors quand elle annonce tout de go qu'elle a lu "La République" de Platon (que lui a conseillé sa grande soeur) et qu'elle a trouvé cela "marrant", "trop bien" et "qu'elle adore", on voudrait pouvoir y croire. Tout à coup on a l'impression que les deux mondes, alors si cloisonnés, vont pouvoir se rejoindre. Mais l'effet ne dure que l'instant de cette courte séquence qui se clôt par cette phrase qui tombe comme un couperet: "C'est bizarre parce que c'est pas un livre pour les pétasses".
Lorsqu'il s'agit d'aborder la question de la démocratie et de son apprentissage, on perçoit aussi les limites du professeur écartelé entre des tentatives pédagogiques généreuses et des élèves peu empressés à se soumettre aux règles édictées par un corps professoral en quête d'autorité et de reconnaissance. Métier passionnant mais difficile et ingrat que celui d'enseignant dans un contexte de crise qui manque davantage de moyens que d'énergie, malgré les doutes, les embûches, les contradictions et les démissions face à la difficulté. Quand à la fin de l'année, une élève vient voir le professeur et lui fait cet aveu terrible: "Je ne comprends pas ce qu'on fait", elle met le doigt là où cà fait mal. "C'est un film qui interpelle", a souligné Xavier Darcos.
On est loin d'un film documentaire telle que la Télévision nous en a présenté à de multiples reprises. Faut-il le déplorer? C'est en tous cas le choix délibéré du réalisateur de nous faire entrer dans les murs d'une classe avec le réalisme d'un reportage, la puissance émotionnelle d'un récit romanesque et l'humour d'une comédie. C'est avant tout cela que le jury de Cannes a voulu salué. Alors si les médias de tous bords, les politiques, les pédagos se sont emparés du film c'est parce qu'il est le témoin d'une époque où le doute s'est installé, où la communication est devenue de plus en plus difficile malgré tous les techniques modernes qui s'offrent à nous.
Si "Entre les murs" a mérité cette Palme d'or, c'est bien par sa capacité à mettre en scène de jeunes adolescents d'une cité peu radieuse qui, le temps d'un été, ont pu vivre une expérience de vrai cinéma. Ce film nous rappelle que le cinéma n' a pas forcément à montrer la vie telle qu'elle est, mais à créer une dramaturgie qui réponde à la vision personnelle et fantasmée d'un auteur. Quelles seront les retombées pour les jeunes qui ont participé à cette aventure? Quels adultes donneront ces ados qui ont tellement de mal à s'exprimer autrement qu'en verlan ou en argot? L'avenir le dira.