mercredi 4 mars 2009

Cultiver la gratitude

Au temps de ma jeunesse, j'ai adoré Léo. Son audace, sa verve, son verbe, sa révolte. Il figurait au panthéon des poètes musiciens. Le bras du mange-disque allait et venait sur les chansons phares des années 70: La vie d'artiste, On s'aimera, Cette blessure, Ton style, L'amour fou et... La solitude.

Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier, d'une autre solitude.
Je m'invente aujourd'hui des chemins de traverse.
Je ne suis plus de chez vous. J'attends des mutants.
Biologiquement je m'arrange avec l'idée que je me fais de la biologie: je pisse, j'éjacule, je pleure.
Il est de toute première instance que nous façonnions nos idées comme s'il s'agissait d'objets manufacturés.
Je suis prêt à vous procurer les moules.
Mais... La solitude...

Je me souviens d'un concert donné la Maison de la Culture de Rennes. Comme à son habitude, Léo avait quitté la scène en direction du parterre des spectateurs. Eructant ses mots avec rage, il s'était rapproché de moi et j'avais senti l'écume de sa voix sur mon visage.

Et le temps a passé. Léo n'est plus. Parfois encore il me manque. Il nous manque. Sa voix nous manque. Sa façon inimitable de dire la cruauté de la vie. Le temps d'une chanson.

A l'indignation de Léo auquel j'ai longtemps adhéré répond aujourd'hui le sentiment de gratitude. Gratitude envers la vie qui n'a pas été toujours très tendre.

Dans un livre qui vient de paraître aux Editions Belfond, l'américain Robert Emmons, s'appuyant sur les dernières études des psychologues et sur des recherches en philosophie, théologie ou en anthropologie, nous invite à cultiver les vertus de la gratitude pour égayer et apaiser nos vies. S'exercer à à la reconnaissance au travers de petits rituels simples et d'outils existentiels nous permet d'accueillir chaque situation comme un cadeau de la vie. Dire oui à l'existence.

"Souvent nous croyons que ce n'est qu'après avoir résolu nos problèmes quotidiens que nous accéderons à la joie, mais c'est plutôt en la nourrissant que nous pouvons traverser les épreuves", écrit le philosophe Alexandre Jollien dans sa Préface.

L'histoire de Job nous en donne un bel exemple. "Dieu nous accorde-t-il les bienfaits sans raison?" demande Job. "Et nous envoie-t-il aussi les maux sans raison?" Job subit toutes les épreuves. Sa famille, ses richesses, sa santé, tout lui est ôté. Il persiste dans sa fidélité à Dieu et il reçoit en retour deux fois plus. Tout lui est à nouveau donné. Et il vivra plus de 140 ans, est-il dit. La gratitude lui a permis de transformer une tragédie en croissance intérieure.

"L'optimisme, la vigueur, le sens de l'humour, le soutien social, le sentiment d'un but et d'un sens, la spiritualité sont de puissants facteurs de résilience", écrit Robert Emmons. Il prend aussi à témoin Elie Wiesel pour qui "tout ce qui est positif en toute situation et en être creuse le tunnel vers la liberté et brise la forteresse du désespoir. Ce simple processus a le pouvoir de transformer votre vie. Votre liberté commence avec la gratitude pour les petites choses. Gagner ainsi du courage et de la force pour atteindre les grandes choses".


Comment intégrer la gratitude dans notre caractère et dans notre quotidien? Pouvons-nous y travailler, la cultiver consciemment? Robert Emmons répond par l'affirmative. Parmi les 10 méthodes qu'il propose de mettre en pratique, retenons en quelques-unes.


- Tenir un journal de gratitude afin de nous souvenir des cadeaux, des bienfaits, des moments de grâce et des bons éléments de notre vie: une rencontre, un sourire, une parole gentille, une aide inespérée, des événements et des situations qui peuvent paraître banales parce qu'on leur prête pas l'attention qu'ils méritent.
- Se rappeler des temps difficiles. Se remémorer des épreuves et le chemin parcouru depuis nous permet d'avoir une pleine conscience des changements qui se sont opérés grâce à nous ou malgré nous.
- Apprendre des prières de gratitude. A l'instar de celle proposée par le maître bouddhiste Thich Nhat Hanh:
Au réveil ce matin, je vois le ciel bleu
Et joins les mains en remerciement
Pour les multiples merveilles de la vie
Pour ces vingt quatre heures toutes neuves.
- Choisir la compagnie de personnes sachant être reconnaissantes et bénéficier de leur influence
- Revenir à la raison de nos sens pour apprécier le miracle incroyable d'être vivant.

Alors si la nostalgie encore affleure à l'écoute de la chanson de Léo, cultivons la reconnaissance comme un défi audacieux dont nous recevrons les bienfaits.
Avec le temps...

"Merci", Robert Emmons, Editions Belfond 2008, préface d'Alexandre Jollien.