jeudi 19 février 2009

Une révolution spirituelle

- C'est la crise, entend-on de tous cotés. Le mot est sur toutes les lèvres, Il s'insinue dans toutes les conversations. Il est proclamé sur tous les tons, en toutes circonstances. Difficile d'en cerner les contours. Chacun lui donne un sens différent, ajoutant sa touche personnelle à la morosité ambiante, comme pour se convaincre qu'il n'est pas le seul à ramer à contre-courant. Les propos sont souvent alarmistes: nous sommes engagés dans une voie irrémédiable, le monde court à sa perte. Tous les aspects de la société (politique, social, culturel, religieux) sont impliqués dans cette vision du monde qui conduit les plus extrémistes à vouloir mettre le monde à feu et à sang.


Au milieu de tout ce tumulte, avec lucidité (il n'élude aucune des difficultés actuelles), Emmanuel Desjardins nous dit que tout n'est pas foutu, qu'il faut que nous ayons le courage de regarder le monde tel qu'il est et non pas tel que nous aimerions qu'il soit.

"Prendre soin du monde, survivre à l'effondrement des illusions. Prendre conscience de l'inéluctabilité du tragique de la condition humaine et réinventer un nouveau paradigme qui implique un changement de mentalité et une nouvelle façon d'agir." Freud, Festinger, Rosset, ont dénoncé en leur temps un monde qui dénie le réel et se berce d'illusions. Le communisme soviétique, au siècle dernier, aura fourni l'exemple par excellence de cette imposture.

"Notre incapacité à trouver un sens au tragique de la condition humaine, notre malaise lorsque nous en sommes témoins, et plus encore notre difficulté à le vivre lorsqu'il nous frappe personnellement, nous plongent dans un conflit intérieur extrême. Tout en nous crie: "Non, non, dites-moi que ce n'est pas vrai, que ce n'est pas pour moi, que cela ne m'arrivera pas, ni à moi, ni à mes proches, ni à mes voisins, ni à mon pays" Ce cri du coeur, combien de fois ne l'a-t-on pas exprimé ou entendu? Nous avons tous au fond de nous la nostalgie du paradis perdu entretenu par un certain christianisme. Le progrès technologique et la croissance économique ont mobilisé les énergies entretenant l'espoir que nous pourrions un jour mettre fin à nos souffrances. Mais aujourd'hui, la philosophie de l'histoire progressiste a fait long feu. Fini les jours meilleurs et les lendemains qui chantent. "Plus personne ne sait où nous allons", renchérissent les observateurs.

Le tout-est-possible, l'optimisme et le volontarisme aveugle, le rejet de la faute sur les autres, la logique du bouc émissaire ne suffisent plus à endiguer les désenchantements. Alors que faire?
"En chacun de nous s'opposent deux forces contradictoires, l'une tournée vers la liberté, l'autre vers la dépendance. Nous vivons dans un équilibre fragile, entre amour et haine, maladie et guérison, pragmatisme et idéalisme. En affirmant que les dés sont pipés, les pseudo-réalistes s'épargnent la douloureuse confrontation à la souffrance du monde qui est est nécessaire pour entreprendre une action adaptée."

La plupart du temps, nous vivons la réalité sur le mode de la révolte, du regret, de l'espoir, de la croyance ou de l'illusion. Dans tous les cas nous alimentons un conflit intérieur que nous cherchons à combler par toutes sortes de moyens. "Pas ce qui devrait être mais ce qui est", disait Swamiji Prajnanpad.

Poursuivant son raisonnement, Emmanuel Desjardins tente d'explorer quelques propositions constructives. Pour cela il s'appuie sur quelques valeurs cruciales qui régissent nos sociétés.

La démocratie et le respect des droits de l'homme sont un rempart contre le chaos et la dictature. La loi est du coté de la réalité. "Respecter le réel ne signifie pas s'incliner devant les injustices, Cela signifie que l'illusion n'est pas bonne conseillère, que l'on reconnaît la complexité du réel, et que l'on respecte le rythme avec lequel il peut changer".

Nous avons perdu le sens du long terme. "Diminuer les tensions à long terme, c'est tenir compte de l'intérêt particulier en satisfaisant les exigences de la morale et de la justice... Une politique à long terme exige des sacrifices et se révèle impopulaire... Qui veut prendre soin du monde doit intégrer l'environnement et l'écologie politique. Comment produire du sens? Comment sauver la Planète?", interroge Emmanuel Desjardins.

Face à la faillite du libéralisme et du socialisme, Emmanuel Desjardins prend le parti de la création qui mettrait au centre de la vie humaine d'autres significations que l'expansion de la production et de la consommation. Il appelle de ses voeux à la naissance d'un nouveau parti, écologiquement engagé, se réclamant d'une nouvelle vision du monde qui prendrait à son compte "le réalisme positif".
"Pour le réalisme positif, il n' y a pas d'un coté la dure réalité, et de l'autre la splendeur de l'idéal. il n' y a que la réalité, mais toute la réalité, avec le positif et le négatif, la joie et le tragique, la libération et l'oppression, les forces de guérison et les forces de destruction".
A ce stade, il apparaît nécessaire de remettre en cause certains aspects de notre société. "La grande question philosophique, écrit Frédéric Moignot dans le Journal Le Monde, sera notre capacité à réformer notre mode de vie, à changer nos manières de consommer, de penser notre confort, de vivre dans l'abondance et le gaspillage, à accepter une possible décroissance." Privilégier l'être à l'avoir. Ainsi parlait Socrate, il y a deux mille ans.

"L'expression révolution spirituelle renvoie au renouveau d'intérêt pour un vaste domaine qui comprend la sagesse, la philosophie antique, les religions orientales, le développement personnel, et ce que certains appellent un art de bien vivre". Se remettre en cause, échapper à l'égoïsme et à la peur, être capable d'aimer, être heureux ici et maintenant. "Intérieurement, chercher à s'éveiller", comme le chante I AM . Réaliser ce que l'on porte en soi. Se changer soi-même et changer le monde: "Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que soit dans le monde extérieur que nous n'ayons d'abord corrigé en nous", écrivait Etty Hillesum dans "Une vie bouleversée".

"Tout est en permanence parfaitement heureux et complètement tragique, selon l'endroit où se porte notre regard." Prenons de la hauteur, ouvrons-nous à une perspective plus vaste, comme nous y invite Emmanuel Desjardins."Ne plus opposer l'un à l'autre mais s'intéresser à la manière dont ils peuvent de renforcer mutuellement", voilà la vraie révolution que nous devons entamer ou poursuivre.
"Si une mutation doit avoir lieu, elle sera aussi le fruit d'une multitude d'initiatives personnelles et locales. Il appartient à chacun de trouver en lui-même les ressources intérieures lui permettant d'être heureux ici et maintenant, dans le monde tel qu'il est. C'est une responsabilité dont nous ne pouvons démissionner, sans perdre de notre humanité et de notre profondeur."

La démonstration est claire, les exemples judicieusement choisis. Cet essai socio-politique a la rigueur d'un travail universitaire avec un supplément d'âme, celui d'un homme au contact permanent avec la sagesse du quotidien. Dans un contexte qui reste fragile, le livre d'Emmanuel Desjardins apporte un peu de baume au coeur et fait jaillir un lueur d'espoir. Emboîte-on lui le pas et sachons garder la lampe allumée au fond de notre coeur.

PS: "Prendre soin du monde", Editions Alphée ° Jean-Paul Bertrand 2009. Emmanuel Desjardins est également coauteur d'un ouvrage d'entretien avec Arnaud Desjardins, "Spiritualité, de quoi s'agit-il ?", aux Editions de la Table Ronde.