Pierre Yves Ginet, photojournaliste au magazine Lyon Capitale (dossier spécial du mois de mars 2009), a mené l'enquête durant près de dix ans au Tibet et en Inde, à la rencontre d'une nation menacée de disparition.
Depuis le début du conflit et le soulèvement du peuple Tibétain le 10 mars 1959, rappelle-t-il, l'occupation chinoise a eu pour effet: la mort de 1,2 millions de Tibétains, la torture et l'emprisonnement de milliers de civils et de moines; la destruction de la quasi totalité des 6000 temples et monastères; la disparition d'un patrimoine considérable; l'assujettissement à une économie coloniale, le développement d'une campagne contre le Dalaï Lama et toute représentation de sa personne; l'arrivée massive de colons chinois; l'exode de 140 000 réfugiés...
La paupérisation, la ségrégation et l'illettrisme accélèrent la marginalisation d'une population submergée par les 7,5 millions de colons chinois. La prostitution prospère à grand pas, notamment à Lhassa. Malgré cela, les Tibétains résistent toujours. Depuis peu certains jeunes notamment se démarquent de la politique de non-violence prônée par le Dalaï Lama et s'exposent à une répression sanglante. La communauté internationale ne s'émeut guère, résignée, semble-t-il, devant le génocide en cours, car les intérêts économiques relèguent cette question au second plan de leurs échanges.
Au-delà du drame humain effroyable que constitue l'annexion du Tibet par la Chine, malgré la force spirituelle hors du commun d'un Dalaï Lama et des moines, on peut s'interroger sur les raisons de ce combat dont l'issue semble inéluctable tant le rapport de forces entre les deux communautés joue en faveur de l'ogre chinois qui détient les rênes de la politique, de l'armée et de l'argent.
Le magazine Lyon Capitale rappelle que ce sont les intérêts économiques qui priment avant toute considération de culture, de communauté, d'identité. Combien de temps le peuple Tibétain pourra-t-il encore résister lorsque l'on sait que le Prix Nobel de la Paix est présenté au peuple chinois comme un dangereux terroriste responsable des soulèvements et du désordre? L'histoire a parfois démontré que certaines causes, aussi justes et nobles soient-elles, ont fini noyées dans un bain de sang.
Espérons encore que ce ne sera pas le cas au Tibet.
Pourquoi la Chine tient-elle tant à maintenir le Tibet sous sa coupe ? (06/03/2009 )
Extraits:
Le Tibet offre des ressources que la troisième puissance mondiale convoite, aujourd'hui plus que jamais.
De l'or, du lithium, du zinc, du cuivre, le sous-sol du plateau tibétain en regorge. Profitant de cette aubaine, la Chine a lancé, en 2008, de vastes recherches à travers tout le Tibet historique pour y trouver ces minerais stratégiques, et notamment le lithium, un composant phare de l'acier inoxydable et des batteries de téléphones portables. Un marché indispensable à l'économie de la Chine. Le sous-sol tibétain recèlerait également des gisements massifs en gaz, potassium, et pétrole (plus de 20% des réserves mondiales) : des richesses hydrocarbures essentielles pour le programme du « développement de l'Ouest » entrepris en 2001 par Pékin en vue de la création d'un « Ouest chinois ».
Les besoins en eaux se font péniblement sentir de l'autre côté de la muraille. La Chine, affaiblie par ses réserves en eaux polluées, puise dans celles du Tibet, qui voit passer sur son territoire six fleuves majeurs de l'Asie. Mathieu Verneray, rédacteur en chef de la revue Alternative Tibétaine, raconte « les projets hydrauliques de la Chine sont nombreux, un ponctionnement du Tibet se fait régulièrement, et la Chine n'hésite pas à dériver les eaux, notamment le Yang Tsé au Tibet vers le Huang Hé au Nord de la Chine ».
Les chinois sont fatigués. Admirative des paysages idylliques et intacts d'un Tibet trop bosselé pour être aménagé par Pékin, la Chine élit résidence secondaire sur le plateau tibétain, histoire de joindre l'utile à l'agréable. Bus de tour-opérateurs, paysages « carte postale », tourisme spirituel, initiation aux prières et achats de Lung-Ta, les chinois raffolent de la culture tibétaine. Selon Caroline Benollet : « A part Lhassa, le territoire tibétain est trop accidenté pour être urbanisé, alors les Chinois en profitent autrement : ils s'y reposent ».
Du haut des montagnes tibétaines, « la Chine domine toute l'Asie », constate Anne-Marie Blondeau, chercheur au Centre de documentation sur l'aire tibétaine de Paris. Un sentiment d'orgueil que la Chine n'est pas prête d'abandonner. Selon Mathieu Verneray, il ne faut pas céder au fatalisme car l'hégémonie chinoise n'est pas absolue : « le Tibet n'est pas l'El Dorado pour la Chine ». Le journaliste ajoute : « les infrastructures,les projets hydrauliques, les gisements, les primes pour les colons chinois envoyés au Tibet ainsi que les problèmes environnementaux, toute cette puissance coloniale représente un coût important pour Pékin ». « Si les retombées ne sont pas suffisantes, la Chine pourrait peu à peu lâcher prise » espère t-il.