La semaine dernière, me rendant au travail, j'allume la radio. Alain Finkelkraut, philosophe, est interrogé par Nicolas Demorand, dans le 7/10 sur France-Inter. S'adressant à la presse à l'occasion de la cérémonie des voeux, le Président Sarkozy avait emprunté à Edgar Morin le concept de civilisation pour définir sa nouvelle politique. Alain Finkelkraut a tenu d'abord à préciser ce que signifiait, pour lui, ce concept.
" Le concept de civilisation est apparu avec les Lumières et traduit une certaine confiance dans le temps. C'est un concept dynamique, il traduit un même mouvement d'adoucissement des moeurs, d'éducation des esprits, de culture des arts et des sciences, d'essor du commerce et de l'industrie, d'acquisition des matériels et du luxe. Or il me semble qu'aujourd'hui cet ordre du temps se disloque, nous ne vivons pas une crise de civilisation (au sens où l'indique Edgar Morin), nous sommes engagés dans un processus de dé-civilisation. L'expliquer c'est en chercher les signes. J'en ai relevé 3 dans l'actualité qui touchent toutes les couches de la société.
1er exemple: Villiers le Bel. Je ne parlerai pas des émeutes elles-mêmes et de leur violence... Un émigré du Bénin expliquait que dans cette cité il vivait l'enfer. Des escaliers sentant l'urine et couverts de crachats, mais plus grave encore, il ne pouvait pas dormir à cause du bruit des motos et de ce qu'on appelle le wheeling sur une roue. Les jeunes qui agissent ainsi le font en tout impunité, tout le monde a peur de leur dire quoique ce soit. La civilisation c'est ce qui permet le solitude. Le bruit, c'est la dé-civilisation en acte.
2ème exemple: Bartabas, un grand artiste. Ce qu'il a fait avec les chevaux et ce qu'il continue de faire est admirable. Il a une Académie équestre à Versailles. Le représentant de l'administration lui dit qu'il ne pourra pas augmenter sa subvention. Coup de colère, il lance des chaises à la tête de l'administrateur, il casse des ordinateurs, il s'en va furieux et après ce saccage, il continue d'exiger du respect. Cet homme qui aurait dû réintroduire les valeurs chevaleresques dans la civilisation bourgeoise se comporte ainsi.
Mais le 3ème exemple est le pire, car il concerne les classes dominantes d'aujourd'hui, les modèles, le show-biz, la jet-set . Une émission de Thierry Ardisson sur Canal+. On décerne des Aliens d'or, des monstres d'or et on demande à cet aéropage de célébrités, de people, présents sur le plateau: voici un certain nombre de morts dans l'année écoulée : Pavarotti, Serrault, Noiret, je crois, et il y avait le Cardinal Lustiger. Et on leur demande: quelle est la mort qui vous a le moins touchée? Et en se marrant, en ricanant, ils disent tous: Lustiger. Cà c'est la catastrophe du rire. On est dans un processus de dé-civilisation au moment où au rire de l'humour succède l'hilarité comme éruption convulsive des passions basses, affirmation du droit à l'abjection, invitation constante à la bassesse".
"La civilisation, c'est l'amour des belles choses, c'est ce qui élève l'esprit et donne à réfléchir sur l'évolution du monde", disait un certain Marcel Proust dans "A la recherche du Temps perdu".
(Propos recueillis grâce à une ré-écoute proposée sur le site de France Inter, avec le logiciel gratuit RealPlayer)
