mardi 4 mars 2008

La jeunesse du coeur


Peur de vieillir! Peur de mourir! Nous sommes tous confrontés, un jour ou l'autre, à cette réalité qui caractérise notre qualité d'homme ou de femme de passage sur cette terre qui nous accueille.

Dans un très beau livre, Marie de Hennezel, aborde cette question sans détour, avec la profonde humanité qu'on lui connaït. "La chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller" emprunte son titre à un refrain que chantent chaque matin les centenaires de l'île japonaise d'Okinawa (baptisée "région de la longévité"). Leur secret: la douceur du climat, la manière de se nourrir, leur état d'esprit, une vie sociale très développée, une conscience spirituelle élevée nourrie de pratiques méditatives, une énergie du coeur qui leur confère une jeunesse intérieure hors du commun. "Les vieux sont notre trésor" dit-on là-bas. Alors pourquoi ne pas nous inspirer de l'exemple d'Okinawa? écrit Marie de Hennezel.

Elle s'est donc mise au travail. Elle a recueilli des témoignages auprès de grands anciens qui lui ont révélé leur antidote pour vieillir sans être vieux. Si ce livre s'adresse plus directement aux plus de soixante ans, chacun peut y trouver matière à réfléchir sur sa façon de conduire sa vie afin de "vieillir en pleine conscience", pour reprendre une expression de Ram Dass.

La question du grand âge reste un sujet tabou dans notre société occidentale qui ne pense qu'en terme de bien-être, de réussite économique, de jeunisme pathétique, préférant cacher ses vieux et ses malades parce qu'ils renvoient une image triste, déprimante où la solitude règne en maître. "C'est à notre génération d'explorer une nouvelle manière de vieillir", proclame Olivier de Ladoucette qui enseigne la psychologie du vieillissement à Paris V. Qui sait ce que l'avenir nous réserve? Des pilules anti-vieillissement, des puces en remplacement d'organes défectueux, des implants, des transplantations en tous genres, des corps remodelés, des cellules renouvelées, tout cela est fascinant et effrayant à la fois.

Ne faut-il pas d'abord changer notre regard et réapprendre à regarder un visage avec les yeux du coeur, comme ces visages, burinés par le temps, des vieux sages hindous, chinois ou africains qui expriment la plénitude. Accepter nos rides, faire place à la jeunesse émotionnelle comme une évidence de la vie qui laisse ses empreintes et reflète notre état d'âme. N'en déplaise à Benoîte Groult, l'auteur de "La Touche étoile", profitons de l'expérience de nos ainés et écoutons ce qu'ils ont à nous transmettre.

Marie de Hennezel relate des expériences proposées ici ou là avec bonheur par des personnes qui ont choisi de vivre leur vieillesse dans le respect de soi-même et l'amour des autres, des babayagas militantes qui ont créé des lieux de vie différents aux maisons de retraites qui n'ont pas peur d'innover et de former leur personnel avec un vrai souci de faire passer la tendresse et la présence avant la technicité médicale. Elle n'élude pas non plus les difficultés face à la maladie d'Alzheimer.

Nous connaissons tous des témoignages de vieillards heureux, des Henri Salvador, Arnaud ou Denise Desjardins, Soeur Emmanuelle, Mâ Ananda Mayi, Karlfried Dürckeim, Thich Nhat Hanh, mais aussi de simples quidams qui ont la "pêche" malgré leur grand âge et qui donnent envie de continuer à s'enrichir affectivement et spirituellement, de transmettre aux plus jeunes leur expérience, leurs valeurs et leur foi en l'homme. Il ne s'agit pas de tomber dans un optimisme béat mais de saisir le sens de cette phrase de Herman Hesse: "'Etre vieux représente une tâche aussi belle et sacrée que celle d'être jeune".
Rappelons-nous la Ballade de Narayama, le film de Shoshei Imamura, Palme d'Or au festival de Cannes 1983. L'histoire de cette petite vieille qui accomplit un pélerinage vers la montagne afin d' y passer le peu de temps qui lui reste à vivre et trouver la paix.

Notons au passage quelques clés pour bien vieillir: ne pas lutter, ne pas s'accrocher au passé, rester jeune dans sa tête, veiller à son hygiène de vie, pratiquer des activités qui mettent le corps en mouvement, conserver une bonne estime de soi, trouver l'équilibre entre une solitude assumée et une vie affective riche, ne pas occulter la sexualité et la tendresse, s'intéresser à autrui et au monde, garder sa capacité d'émerveillement et de gratitude, accepter ce qui est, chercher à parfaire son être plutôt que le paraître, élever son niveau de conscience, assumer une forme de solitude qui permet de prendre du recul et de la hauteur, être capable de changement, rester amoureux de la vie, ne pas craindre la mort. "C'est une affaire de générosité de coeur, mais aussi une façon de garder en soi suffisamment de complicité avec l'enfant que l'on fut" écrivait la psychanalyste Maud Mannoni.

Ces beaux vieillards qui respirent la plénitude et la joie de vivre nous transmettent ce sentiment de liberté et cette immense tendresse qui les habitent parce qu'ils ne veulent plus rien, n'attendent plus rien, ils s'en remettent simplement à la Vie.