jeudi 20 mars 2008

La pensée précède l'action


"Avec les sens et la perception un élément de structuration majeure de la personne de l’enfant c’est l’action. L’enfant est un être qui réagit et l’action est une forme de réaction. Un jeune enfant perçoit le monde environnant, il réagit et il bouge, exerce un certain nombre de mouvements comme pour découvrir, explorer, se protéger, s’aventurer quelles que soient les intentions qui peuvent habiter sa gestualité. L’action est fondatrice du développement de la personne. Un être humain est un être qui agit. Tant qu’on agit, on ne va pas trop mal. Le pire dans l’existence, c’est l’inhibition de l’action parce que l’être humain du point de vue de l’évolution des espèces est un être vivant. Quand je rencontre ce qui est pour moi une menace ou un danger, je n’ai que trois solutions : la première, je fuis, la seconde, j’attaque parce que j’ai l’impression de pouvoir être le plus fort et la troisième, je suis pétrifié sur place, l’inhibition de l’action...

Quand un gamin entre dans un cours, la question qui se pose consciemment et inconsciemment c’est « Qu’est-ce qu’on va faire ? » et la réponse de l’adulte c’est « Attends que je t’explique, que je fasse devant toi, je fais mon one man show pédagogique et après tu feras un exercice d’application pour voir si tu as compris ». Le gamin qui nous voit faire se dit: « Je n’y arriverai pas ». Il essaye, on lui dit c’est encourageant. il le comprend bien, ça signifie que ça ne va pas. Pourquoi ? Parce que nous l’attendons dans un résultat d’action alors que lui nous attend au départ de l’action. C’est l’incompréhension majeure de la pédagogie. Quand on demande à un enfant de faire trop souvent on pense qu’il a compris et doit savoir faire, et au moment où il fait, on l’évalue, alors qu’au moment où il commence à faire, il commence à apprendre. Ce n’est pas l’action qui doit être différée, c’est l’évaluation. On juge trop vite, trop souvent, même tout le temps. Même si c’est positif, on dit « c’est bien, continue » Et si on dit « tu es quelqu’un de super », c’est sympa sur le moment. Vous vous rendez compte du challenge, il va falloir que je paraisse super vingt quatre heures sur vingt quatre. Chaque fois que nous évaluons trop vite, nous hypothéquons l’action. Notre travail est de promouvoir l’action.

J’ajouterais que tous les travaux en psychologie de l’enfant et de l’adolescent (et même en psychologie de l’adulte) convergent au moins sur un point, c’est que aider quelqu’un c’est aider à retrouver le goût de l’action. La pédagogie n’est jamais frontale, c’est toujours une pédagogie du détour. La pédagogie c’est l’art de la ruse. Une ruse qui respecte l’autre en matière pédagogique. Mais c’est offrir à quelqu’un des occasions de faire et de changer. Ce qu’il faut, c’est offrir un éventail de possibilités. Et me laisser le temps de faire mes choix fragiles. Il existe une patience éducative fondamentale. Est-ce que l’important c’est d’arriver au but avec 5 sur 20 ou d’arriver au 3/4 du but avec 18 sur 20. Cela relève de ma responsabilité d’enseignant. Il n’y a pas deux enfants qui se ressemblent, il n’y a pas deux groupes d’enfants qui se ressemblent. Je souhaite que la majorité, pour ne pas dire tous les enfants, puissent arriver à un seuil où certains d’entre eux continueront, d’autres non, mais tous auront acquis à la fois des compétences et un mieux-être. Et je suis responsable des choix que je fais. « responsable », vous savez qu’étymologiquement ça vient en latin de « respondere » qui veut dire répondre. Etre responsable, c’est répondre et répondre cela veut dire deux choses : ça veut dire « répondre à ». D’une part, je réponds à l’institution (mes supérieurs), d’autre part, je réponds aux enfants. Mais, c’est pas seulement «répondre à », c’est «répondre de ». C’est répondre de ce que je fais, c’est répondre de mes actes, et c’est répondre de leurs conséquences. Donc, prendre ces responsabilités, c’est prendre un risque, et c’est prendre le risque de désobéir à des attentes...

Extraits d'une conférence de Gérard Guillot, philosophe de l'éducation, CND Lyon avril 1998