mardi 11 mars 2008

Le dieu dollar et le goupillon


L'auteur de "L'AntéChrist"(F. Nietzshe) n'aurait sans doute pas désavoué l'univers que dépeint Paul Thomas Anderson dans le film "There will be blood". Ambition, tension, corruption, trahison sur fond d'océan de pétrole, constituent la trame d'un film-fleuve ( 2h30), inspiré d'un roman d'Upton Sinclair, "Pétrole!"

A travers l'histoire d'un homme qui cherche fortune à la recherche de l'or noir dans une petite ville de Californie au début du XXième siècle, c'est toute l'histoire de la naissance d'une nation qui nous est contée. Une métaphore, en quelque sorte, de l'Amérique capitaliste. Daniel Plainview ( dans la peau duquel Daniel Day-Lewis se glisse avec maestria ) est l' un de ces self-made man qui ont fait les riches heures d'une Amérique conquérante. A coups de pioches, de sueurs et de règlements de comptes, il figure l'un de ces pionniers à qui tous les moyens sont bons pour acheter la terre aux plus pauvres en leur promettant éducation, routes, travail et enrichissement personnel. L'invincibilité de son empire se traduit par la devise: "Je hais la plupart des gens, alors, je veux juste gagner suffisamment d'argent pour les éloigner tous". Face à lui, un être égaré qui, à coups de sermons et d'exorcismes enflammés, manipule des pauvres gens à l'esprit faible. Le vrai salaud et le faux prophète vont se livrer un duel sans merci. Le dieu dollar contre le goupillon. On songe à tous ces pasteurs intégristes qui, de nos jours encore, haranguent les foules en les exhortant de prier Dieu et de leur remettre leur argent sur fond d'évangélisme primaire.
Alors comme l'indique le titre du film, entre ces deux-là, "Cà va saigner". Car la violence règne en maître dans le coeur de ces hommes que rien ne semble pouvoir arrêter. Pas même la pitié. Et la haine, déguisée en fierté, devient leur seul rempart contre l'adversité. Ils n'ont plus d'autre issue que de sombrer dans la folie meurtrière, à l'instar de cette scène finale aux accents shakespeariens.

En filigrane, tout au long du film, se pose aussi la question de la filiation père-fils et de la transmission. L'ambiguité demeure dans les rapports qu'entretient le personnage principal avec son fils orphelin. Le langage des signes, seul moyen de garder le contact avec l'enfant devenu sourd suite à l'explosion accidentelle d'un derrick, apparaît comme une barrière et un aveu d'impuissance.

"There will be blood" pose un regard pessimiste sur les fondements du mythe américain en montrant que ce rêve américain s'est aussi bâti sur l'exploitation de la misère, dans la malhonnêteté, dans le culte de l'argent-roi sur fond d'obscurantisme religieux. La musique hypnotique et obsédante, signée Jonny Greenwood de Radiohead, donne chair à ce long chant qui à la couleur d'un western crépusculaire.

PS. Héritier de l'Actor's Sudio, obéissant davantage à son animalité, Daniel Day-Lewis est un des ces acteurs qui, à l'instar de Robert de Niro ou Marlon Brando, ont besoin d' "être" le personnage, incarnant le postulat que la vérité d'un rôle ne peut naître que de l'intérieur. Et pour arriver à ce résultat, il est prêt à payer le prix fort, cherchant, parfois pendant des mois, à endosser l'identité physique de celui qu'il interprète. Comme si ce rôle était le dernier, comme s'il cherchait à entrevoir jusqu'où cela pouvait le conduire. Ses rôles les plus marquants: L'insoutenable légèreté de l'être" de Philip kaufman (1988), "My left foot" de Jim Sheridan (1989), "Le dernier des Mohicans" de Michael Mann (1992), "Le temps de l'innocence" (1993) et "Gangs of New-York" (2003) de Martin Scorcese, "The ballad of Jack and Rose" de Rebecca Miller (2006).