jeudi 17 avril 2008

La règle n'est pas la loi

"Je voudrais dire maintenant, dans huitième point, que ce qui est structurant dans l’éducation, c’est la notion de loi. Dans toute situation éducative, dans la mesure où elle contribue à la structuration de l’enfant, la référence à la loi est importante. Que craint-on aujourd’hui, quand on enseigne: l’indiscipline. Il y a des groupes qui ne sont pas faciles à conduire. C’est un problème majeur et immédiat. Et parfois, il faut y passer un moment, ça, c’est très concret, et urgent.


Aujourd’hui, il existe une tendance, notamment en début d’année, qui consiste à organiser des règles de vie. On dit: « Voilà, on va faire comme cela. » Ce que l’on oublie, c’est que se donner des règles de vie n’est pas suffisant, pour structurer le vivre ensemble. Parce qu’on peut se donner n’importe quelles règles. La mafia a des règles qui ne sont pas conformes à la loi. La règle n’est pas la loi. La loi est ce que l’on décide dans un groupe. Sur le plan affectif, cela n’a de valeur, que si d’une part, les règles sont conformes à la loi, et que si d’autre part, la règle se fonde sur la loi, fait référence à la loi. Cela ne veut pas dire que la loi est bien dans l’absolue. Entendons-nous bien, je parle d’un état de droit d’une société telle que la nôtre, parce que si c’est un état totalitaire, la loi c’est autre chose. La loi a une caractéristique, c’est qu’elle est la même pour tous, elle s’impose à tout le monde. Donc, la loi est universelle. La loi est l’universalité, la règle est la particularité. Il y a des bandes d’adolescents qui se donnent des règles. Par conséquent, éduquer à la règle, c’est faire croire qu’on peut s’organiser comme on veut, et que tout est négociable. L’éducation suppose un rapport au non négociable: la loi ne se négocie pas. Il y a un principe de réalité dans la structuration de la personne. Il y a des choses qu’on n’a pas le droit de faire. Non parce qu’un adulte l’a autoritairement décrété, mais parce que même l’adulte est soumis à cette loi. Et là, nous avons le devoir d’être exemplaire. Si je transgresse la loi, je ne peux pas demander aux enfants de la respecter. Cela c’est structurant. Cela assure un peu plus notre autorité. La loi veut dire qu’il y a de l’universel en jeu.

Ce qui éduque, c’est l’universel, ce n’est jamais le particulier. A chaque fois que c’est du particulier, cela veut dire que c’est le caprice de quelqu’un. « Avec moi, on fait comme cela! » La loi est le contraire du caprice, et c’est cela qui est structurant. Si un enfant s’aperçoit que tout est caprice, donc tout est négociable, donc tout est soumis au chantage affectif, soit au rapport de force. Dans ce cas-là, c’est la jungle. Il est important que l’enfant rencontre de la nécessité. Une nécessité fondée, à laquelle je suis soumis également. Cela veut dire qu’au-delà du caprice personnel, il y a une référence qui sera représentée comme universelle. Sinon on n’apprend plus rien. Et, vous retrouvez cette idée que j’évoquais d’une pédagogie exigeante. Exigence n’est pas autoritarisme. Créativité et exigence vont ensemble. Je peux développer la créativité, si je suis exigeant. Sinon, je favorise l’interrogation des stéréotypes, le laisser-aller, le positionnement culturel, et personne n’apprend rien. C’est en cela que la notion de loi est importante."

Extraits d'une conférence de Gérard Guillot, philosophe de l'éducation, CND Lyon avril 1998