Août 1989. Après deux mois passés à l'American dance Festival de Durham (Caroline du Nord), une court séjour à la Nouvelle Orléans et en Floride, nous voici arrivés à New-York. Big Apple, comme la surnomme ses habitants. Pendant trois jours nous déambulons à travers Manhattan, de la Statue de la Liberté à Central Park, en passant par le World Trade Center, China Town, Little Italy, Greenwich village, Soho et Times Square. Des images plein la tête. A notre retour en France, je réalise un petit film de trois minutes avec, en voix off, ce commentaire:

Ils ne crient pas « America, America », étouffés par l’émotion, comme les immigrants célébrés par Elia Kazan, en foulant du pied enfin le sol du pays de la deuxième chance. Première arrivée à New-York. L’entrée en taxi jaune, bien sûr ; une architecture à vous couper le souffle. Tout y est plus grand, plus haut, plus impressionnant. Le modèle est à la hauteur des mille images gravées, toile de fond des films de romance, des thrillers, des drames du Nouveau Monde. « I love New-York », clament les chansons que la ville exporte dans le monde entier. Au bord de la catastrophe, au bord de la féérie, à l’avant-poste du temps, New-York, ombilic du monde, ville-limite. Nous avons tous connu New-York avant d’y avoir mis les pieds. Nous l’avons aimée comme à seize ans on aime une vedette de cinéma, en effigie, mais passionnément. Sur les écrans de cinéma que nous avons dans la tête. Si on aime la ville, l’asphalte, le béton mêlé au ciel comme dans le vers de Rimbaud « L’éternité, c’est la mer hâlée avec le soleil », on aime New-York, la ville coulée dans la pierre, le verre et l’acier. Regardez ce touriste qui filme la ville ; croyez-vous qu’il braque son objectif pour célébrer le triomphe des multinationales, dont le siège central se dresse avec arrogance sur soixante étage, au cœur lumineux de l’Amérique capitaliste? Non, l’homme danse dans un film de Gene Kelly, il fuit la police avec James Cagney ou Robert De Niro. Il va retrouver Gary Grant ou Lara Turner au Plaza, il dialogue avec Diane keaton et Woody Allen sur le pont de Brooklyn. A l’instant où cette ville imaginaire va le happer dans son délire, il sort sa caméra comme le héros sort son revolver pour se défendre. Il a filmé pour ne pas devenir complètement fou, pour rétablir la priorité du réel sur l’imaginaire. Rentré chez lui, il contemplera ses images en se disant : « New-York existe puisque je l’ai filmée.» Mais il n’y croira pas.
11 septembre 2001. Les Twin Peaks s'effondrent l'une après l'autre. "D'un seul coup, écrit Annie Erneaux dans "Les années", la représentation du monde basculait cul par dessus-tête, quelques individus fanatisés venus de pays obscurantistes, juste armés de cutters, avaient rasé en moins de deux heures les symboles de la puissance américaine.... Le 11 septembre refoulait toutes les dates qui nous avaient accompagnés jusqu'ici. De la même façon qu'on avait dit "après Auschwitz", on disait "après le 11 septembre, un jour unique. Ici commençait on ne savait pas quoi. le temps aussi se mondialisait."

New-York 2008. Dans quelques semaines, nous nous envolerons pour la "Grosse Pomme". Avec ses 8 275 000 habitants, New-York, est la plus grande ville des Etats-Unis et reste une des villes les plus excitantes du monde, en raison de sa diversité et de son caractère cosmopolite (un habitant de New-York sur trois est né à l'étranger). On dit la ville aseptisée depuis que Rudolphe Giulani (maire de 1994 à 2001) a pratiqué une politique de "nettoyage" des quartiers les plus populaires. Les grandes marques de la consommation planétaire ont imposé leurs logos universels dans la cité qui reste plus que jamais le royaume de l'argent. Malgré tout, si l'on en croit un récente enquête du magazine Télérama, New-York reste une ville passionnante avec ses gratte-ciels impressionnants, ses nombreux musées, son histoire, ses lieux de vie métissés, ses 113 km2 d'espaces verts, son avant-garde artistique (qui a dû cependant migré de Soho à Brooklyn, en raison du prix des loyers). Chelsea accueille encore 350 galeries d'art. "On va "faire Chelsea" comme on va "faire le Marais" chez nous. Mais il y règne la même effervescence. Le "Times" s'est offert une tour de 318 mètres pour rester à la hauteur de sa réputation de berceau du journalisme américain. Un chef d'oeuvre d'architecture signé Renzo Piano. La Freedom Tower, plus haute que les deux autres verra bientôt le jour, comme si le passé n'avait pas de prise sur cette ville tournée vers le futur. A partir de Juillet prochain, un vol quotidien direct reliera Lyon à New-York en moins de temps qu'il en faut pour traverser l'hexagone. A nous deux New-YorK!