mardi 15 avril 2008

Le pouvoir selon Machiavel


Le terme "machiavélique" s'utilise généralement pour parler d'un plan, d'un complot où la ruse inventive n'a d'égale que le raffinement des pièges. On est loin de la doctrine authentique de cet exceptionnel penseur du politique que fut Machiavel.

Homme de la Renaissance, ce philosophe, grand lecteur des Grecs et des latins, est avant tout un homme de terrain familier des missions diplomatiques et des rapports officiels. De nature plutôt enjouée, il assouvit d'abord son besoin d'écrire par le biais de comédies, de poèmes, de dialogues philosophiques qui lui valent un certain succès. Mais c'est avec "Le Prince" que son réalisme politique va trouver son langage. Il ne se contente pas de "donner des règles de conduite à ceux qui nous gouvernent". Il réfléchit sur l'ensemble des techniques d'acquisition et de conservation du pouvoir: comment s'emparer du pouvoir, comment conserver un Etat existant, comment pérenniser l'Etat nouveau que l'on a fondé. Un inspirateur pour tous ceux que le pouvoir attire? Sans aucun doute. Car il s'agit pour lui d'inscrire la politique dans une lutte permanente qui vise à accroître toujours davantage le pouvoir aux dépens de ses adversaires.

La réflexion de Machiavel ne s'inscrit pas pour autant dans une dynamique humaniste et évolutive qui participerait d'un progrès général de l'humanité. Pour lui, l'Histoire n'est qu'une succession d'événements qui ne cessent de se répéter selon un schéma de progression et de régression, sans finalité. A la tyrannie et à la servitude succède l'action d'un prince mesuré et habile emporté dans un tourbillon de passions humaines où viennent se mêler les conflits et les intérêts économiques et militaires. Adieu les idéaux et les règles morales. Tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Et c'est là qu'il faut sans doute chercher l'origine du glissement "machiavélien" en "machiavélique".

Quand il s'agit de prendre le pouvoir et de le conserver, les princes de ce monde se comportent selon les mêmes schémas. Machiavel se révèle un fin analyste de l'art du pouvoir. C'est sans doute pour cela qu'il n'a cessé d'être lu, commenté, vilipendé, attaqué et souvent mécompris depuis près de quatre siècles.

Extrait:
"Ce n'est pas chose de peu d'importance pour un prince que le choix des ministres, lesquels sont bons ou non selon la sagesse du prince. Et la première conjecture que l'on fait du cerveau d'un maître est de voir les hommes qu'il a autour de lui; et quand ils sont capables et fidèles, on peut toujours le réputer sage, puisqu'il a su les juger capables et les maintenir fidèles; mais quand ils sont autrement, on peut toujours porter mauvais jugement sur lui: car la première erreur qu'il fait, c'est dans ce choix qu'il l'a fait..."
Mais comment un prince pourra connaître son ministre, voici un moyen qui ne trompe jamais: quand tu vois le ministre penser plus à soi qu'à toi et que dans toutes les affaires il recherche là-dedans son profit, jamais tu ne pourras te fier à lui: car celui qui a L'Etat de quelqu'un en main ne doit jamais penser à soi, mais toujours au prince et ne jamais l'entretenir de chose qui ne le concerne pas. Et d'un autre coté le prince, pour qu'il reste bon, doit penser au ministre, en l'honorant, en l'enrichissant, en le faisant son obligé, en lui donnant sa part des honneurs et des charges, afin qu'il voit qu'il ne peut subsister sans lui, et que l'abondance des honneurs ne lui fasse pas désirer plus d'honneurs, l'abondance des richesses ne lui fasse pas désirer plus de richesses, l'abondance des charges lui fasse craindre les changements. Quand donc les ministres, et les princes à l'égard des ministres, sont ainsi faits, ils peuvent avoir confiance l'un dans l'autre; et quand ils sont autrement, toujours la fin sera dommageable ou pour l'un ou pour l'autre."

A méditer, à la faveur de ce qui se passe dans le monde, dans notre pays, ou dans nos petits territoires personnels.

(Machiavel ou l'art du pouvoir, 12ème volume du "Monde de la philosophie", cette semaine dans les kiosques)