
"Je suis de nulle part. Je m'identifie très fortement à la Bretagne, ce pays que nous avons gardé dans notre coeur". C'est peut-être mes racines bretonnes qui me rapprochent de Jean-Marie-Gustave le Clézio. Son air taciturne, austère comme du granit, cachent une profonde humanité, toujours en quête d'harmonie entre le monde et son histoire. Depuis la lecture de son roman "Désert", ce grand voyageur est resté l'un des mes mentors. Un modèle d'écriture. Un modèle d'homme, comme un grand frère avec lequel je partagerais une histoire imaginaire, aux confins de deux mondes où passé et présent pourraient coexister sans jamais s'exclure.
De l'Ile Maurice à l'Afrique noire, du Yutacan au Mexique au désert marocain, de Mexico à Séoul en passant par Nice, l'écrivain nomade pose ici ou là ses valises pour écrire d'abord des histoires, puis des idées, des personnages. A 68 ans, il finit par dire qu'il ne sait plus pourquoi il écrit. "J'écris pour faire de la musique avec les mots, pour comprendre qui je suis et comment vivre avec les autres". L'écriture est peut-être son seul pays, car elle lui permet "d'aller voir ce qu'il y a de l'autre coté de la colline". L'écriture dissipe le temps. "Ecrire, c'est voyager, c'est sortir de soi, c'est devenir quelqu'un d'autre, c'est se sentir libéré comme un oiseau".
De Séoul, cette mégapole qui compte plus de 10 millions d'habitants et où il aime parfois séjourner, il dit "c'est la seule capitale au monde où les cigales font plus de bruit que les voitures en été". Cependant, au milieu de ce tumulte incessant, de cet affrontement continuel, il y a "des poches de vide" où les mots de la poésie peuvent parler plus fort que les mots marchands qui envahissent nos cités.
Son intérêt pour les cultures amérindiennes, la rencontre entre deux mondes, l'empire aztèque et la colonisation espagnole sont au coeur du "Rêve mexicain". La destruction de Mexico en 1521 (264 000 morts) sonna le glas de la civilisation aztèque. Cet épisode reste une des plus grandes tragédies de l'histoire humaine. "On a privé l'humanité de quelque chose d'essentiel en considérant les civilisations anciennes comme quelque chose de facile, de décoratif". Il continue de lire au présent, sur les visages des hommes, les traces de cette histoire.
Les quatre années qu'il a passé dans la forêt tropicale de Panama lui apportèrent le sentiment d'appartenir à un monde où la nature rythmait chaque moment de la vie quotidienne. En quittant cette terre sauvage, comme dans un rituel sacré, il enterra sa pirogue sous les feuilles et n'est jamais revenu.
S'adressant à des jeunes étudiants coréennes, il dit son amour de Colette, l'écrivain qui lui fit découvrir ce qu'était la littérature sentimentale et sensuelle. "Il y a, chez Colette, des trésors de sensations et de sentiments".
De son voyage en Afrique, quand il était enfant (son père était médecin de brousse), il parle de cette extraordinaire richesse, cette profusion de fruits, de fleurs, de couleurs, cette générosité ." Désormais il y aurait avant et après l'Afrique". Il cite encore cette phrase de Gandhi: "Le message était mauvais, mais quelque fois le message était bon". il y a toujours un peu de bien dans le mal.
Et quand l'écrivain revient à l'avant-scène, c'est pour nous rappeler qu'il est "une sorte de membrane sensible capable de rendre les pulsations, les désirs, qu'il peut percevoir dans un espace limité". Car Le Clézio aime écrire dans les endroits les plus inattendus, dire la houle et l'écume des vagues face à un paysage désenchanté balayé par le vent. Son ardeur militante pour préserver les droits de la nature se révèle enfin quand Il condamne l'aveuglement des hommes qui vivent dans une bulle. "On croit qu'on va pouvoir continuer à exploiter la terre, ses gisements, ses richesses, à l'infini. Et il rappelle cette histoire racontée 150 ans plus tôt par un sage amérindien: "Comment pourrais-je vendre l'eau, le soleil et tout ce qui fait l'harmonie du monde... Vous allez mourir asphixier dans vos propres déchets". Ce discours, on devrait le lire aujourd'hui dans toutes les écoles, égrène-t-il d'une voix grave sans emphase. Mais comme dans toutes les révolutions, "Vent, tout est vent".
(JMG Le Clézio, collection "Empreintes", documentaire de François Caillat, France 5, Dimanche 13 avril à 9h45)