Isadora Duncan, ce nom ne vous dit peut-être pas grand chose. Pour les balletomanes, c'est une figure de légende dont la fin tragique restera gravée dans toutes les mémoires. Elle meurt en effet à Nice un soir de septembre 1927, étranglée par sa longue écharpe prise dans la roue de sa Bugatti sport sur la promenade des Anglais. Native de Californie, cette brillante chorégraphe américaine fut une véritable pionnière, la première à s'émanciper des codes de la danse classique et à se placer à l'avant-garde de la danse moderne. "Je voulais danser comme je respire, comme j'aime, comme je souffre, dans une totale indécence, en harmonie avec les rythmes de la terre".
Dans "Ma vie", ouvrage autobiographique achevé au début de l'été 1927, peu de temps avant son accident mortel, elle écrit: "Mon art est précisément un effort pour exprimer en gestes et en mouvements la vérité de mon être. Dès le début , je n'ai fais que danser ma vie... On m' a quelquefois demandé si je mettais l'amour plus haut que l'art, et j'ai répondu que je ne pouvais pas les séparer, car l'artiste seul est l'amant véritable". De sa rencontre avec Rodin, on dira: "Il y a chez Rodin et Duncan ce souci du modelé qui vient de l'intérieur".
Un demi-siècle plus tard, une jeune artiste américaine, Amy Swanson, décide de reprendre à son compte le répertoire d'Isadora. Elle se produit sur les scènes françaises. J'eus l'occasion de la rencontrer au début de ma vie professionnelle alors qu'elle se produisait à la Maison de la Culture de Rennes. Mon intérêt récent pour la danse et les circonstance particulières de cette rencontre scellèrent notre amitié. L'article que j'écrivis, en mars 1983, pour le magazine Rennes Poche témoigne encore de cette rencontre.
Dans des chorégraphies parfois très courtes d’Isadora Duncan et de Kathleen Quilan, Amy Swanson apparaît vêtue de tuniques légères, semblable à une déesse au charme transparent échappée du « Printemps » de Boticelli. Son pas retrouve le rythme des marées, le mouvement des nuages et elle ondule en des gestes limpides et aériens sur les accents romantiques de la musique de Liszt, de Brahms, de Gluck et de Chopin.
Quand Amy raconte une histoire, elle y met le meilleur d’elle-même et elle fait don au public de cette vie qui l’anime. Telle une sorcière moderne, elle donne à voir une image de femme à la fois réelle et impalpable. Tantôt redoutable (comme dans l’inoubliable « Furie », tantôt ensorceleuse, passant du merveilleux au quotidien, elle poursuit son chemin qui va de l’ombre à la lumière avec le même lyrisme et la même qualité d’émotion. Un élan libératoire qui part du plexus fait jaillir cette « vie du dedans » où la précision du geste s’harmonise avec l’expression de l’âme. Nietzsche, le premier philosophe de la danse, ne déclarait-il pas: « Il y a toujours un peu de folie dans l’amour, mais il y a toujours un peu de raison dans la folie ». Réconciliant technique et sentiment, Amy Swanson recrée un style. Elle réussit l’exploit de ressusciter un mythe en y ajoutant une présence personnelle et authentique, témoignage vivant d’un esprit résolument tourné vers l’avenir.
Aujourd'hui, de nombreuses stars de la danse contemporaine, tels que Bill T. Jones ou Caroline Carlson, revendiquent cet héritage et son influence déterminante dans leur parcours. Arte consacre la deuxième partie de soirée du Lundi 26 Mai à 22h40 à ce personnage insaisissable, nymphe à la grâce envoûtante, comme en témoigne les images du documentaire de Elizabeth Kapnist. A découvrir. Rediffusion le 2 juin à 10h50.