Le labyrinthe a toujours fasciné l'humanité. Le terme labyrinthe désignait, dans la mythologie grecque, une série complexe de galeries construites par Dédale pour enfermer le Minotaure. Il fallait le fil d'Ariane pour en sortir.
De nos jours, le labyrinthe, en tant que symbole d'un cheminement initiatique long et difficile est devenu un archétype universel. Il désigne une organisation concrète ou abstraite, difficile à suivre où chacun peut se perdre ou se retrouver. Celui qui y pénètre doit se laisser guider et ne pas perdre confiance. En Inde, il est représenté sous la forme d'un mandala. Il représente le mélange entre l'organisation du monde idéal et le voyage intérieur. Le cercle dans lequel s'inscrit le labyrinthe symbolise l'unité, la perfection: il renvoie à la finitude de la vie. La sortie du labyrinthe marque la victoire du spirituel sur le matériel, de l'éternel sur le périssable.
Avec "Chemins de sagesse, traité du labyrinthe", Jacques Attali surprend là où l'on ne l'attendait pas. Cet esprit curieux, parfois virtuose dans sa rhétorique, livre en effet un essai vivifiant qui place le primat, non dans la méthode rationnelle de ligne droite (qui est, comme chacun sait, le plus court chemin pour atteindre le but) mais dans la réinvention d'un nomadisme tâtonnant, allant jusqu' à utiliser le verbe "labyrinther" pour désigner la part de hasard indispensable à tout parcours initiatique.
"On peut distinguer quatre significations du labyrinthe :
Le labyrinthe raconte d’abord l’histoire du passage vers l’au-delà, du rituel funèbre. Il présente une carte de l’au-delà. Par glissement naturel, le labyrinthe prend une deuxième dimension : il raconte la traversée d’une épreuve par un individu ou une collectivité. Celui qui a traversé le labyrinthe devient un initié, il entre dans une nouvelle vie. Puis apparaît un quatrième sens, lui aussi dérivé du premier: celui de la résurrection. Entrer dans un labyrinthe, prendre le risque de mourir, traverser une épreuve, être initié, tout cela transforme en héros celui qui s’y hasarde.
Le labyrinthe devient ainsi tout naturellement la représentation de l’histoire d’une guérison, d’un chemin d’accès à l’éternité. Il constitue ainsi une frontière, un lieu de passage, de rencontre, de communication entre le monde des vivants et celui de morts.
Au total, tous les mythes du labyrinthe racontent d’une façon ou d’une autre cette quadruple histoire : un voyage, une épreuve, une initiation et une résurrection. Tous relatent la mort promise du héros, son sacrifice, sa découverte d’un secret initiatique, sa transfiguration.
En y entrant, il faut accepter d’être désorienté, de vivre hors de l’espace et du temps, d’avoir le vertige, le tournis, de ne connaître d’avance ni la durée, ni le chemin ; d’admettre, alors qu’on croit atteindre le centre, qu’on est peut-être en train de s’en éloigner.
De fait, se perdre n’est jamais un échec. C’est une occasion de prendre du recul, d’aller là où on est pas attendu, de se trouver. Il faut même vouloir être égaré, trouver du plaisir à être perdu, ne pas craindre l’errance, la solitude, dominer la peur de l’inconnu, accepter d’avancer à l’aveugle. C’est en se perdant soi-même qu’on peut un jour s’accepter.
Nomadiser, faire face, se perdre, s’accepter, persévérer, se souvenir, danser, jouer, ruser, élucider : L’homme qui parvient à réunir toute ces qualités a toutes les chances d’avancer, même après d’innombrables erreurs. Voilà la réponse à la seule question qui vaille : Qu’est-ce que je veux devenir ? " (Jacques Attali, Traité du labyrinthe, Editions Fayard, 1996)