"Je suis de nulle part. Je m'identifie très fortement à la Bretagne, ce pays que nous avons gardé dans notre coeur".
C'est peut-être mes racines bretonnes qui me rapprochent de Jean-Marie-Gustave le Clézio. Son air taciturne, austère comme du granit, cachent une profonde humanité, toujours en quête d'harmonie entre le monde et son histoire. Sa touchante simplicité (aux antipodes d'un Michel Houellebecq et d'un Pierre-Henry Levy) lui confère sincérité et beauté de l'être.
En apprenant hier qu'il était lauréat du Prix Nobel de littérature, je n'ai pu réprimer un Hourra! de joie et de satisfaction. Du "Procès-verbal" (Prix Renaudot en 1963) à "Ritournelle de la faim" qui vient de paraître, romans, essais, nouvelles, contes, récits, livres pour enfants, défilent devant mes yeux posant ici ou là des jalons, des repères de vie.
Jean-Marie-Gustave Le Clézio m'accompagne depuis plus de 30 ans. Depuis la lecture de son roman "Désert", ce grand voyageur est resté l'un des mes mentors. Un modèle d'écriture. Un modèle d'homme, comme un grand frère avec lequel je partagerais une histoire imaginaire, aux confins de deux mondes où passé et présent pourraient coexister sans jamais s'exclure.
En partance pour le désert d'ici quelques semaines, je ne résiste pas au plaisir de relire et de vous faire partager ces quelques extraits:
« Ils sont apparus comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible...
Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regarder où ils allaient. le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. Le sable fuyait autour d'eux, entre les pattes des chameaux, fouettait le visage des femmes qui rabattaient la toile bleue sur leur yeux...
Le soleil était encore haut dans le ciel nu, le vent emportait le bruit et les odeurs. La sueur coulait lentement sur le visage des voyageurs et leur peau sombre avait pris le reflet de l'indigo, sur leur joues, sur leur bras, le long de leurs jambes...
Il n'y avait rien d'autre sur la terre, rien, ni personne. Ils étaient nés du désert, aucun autre chemin ne pouvait les conduire. Ils ne disaient rien, ils ne voulaient rien...
Le vent passait sur eux, à travers eux, comme s'il n'y avait personne sur les dunes...
Ils continuaient à descendre lentement la pente vers le fond de la vallée, en zigzagant quand le sable s'éboulait sous leurs pieds. Les hommes choisissaient sans regarder l'endroit où leurs pieds allaient se poser. C'était comme s'ils cheminaient sur des traces invisibles qui les conduisait vers l'autre bout de la solitude, vers la nuit...
Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus comme dans un rêve, en haut d'une dune, comme s'ils étaient nés du ciel sans nuages et qu'ils avaient dans leurs membres la dureté de l'espace. ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher su soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l'horizon inacessible. ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leurs yeux...
C'était comme s'il n'y avait pas de noms, ici, comme s'il n'y avait pas de paroles. le désert lavait tout dans son vent, effaçait tout. Les hommes avaient la liberté de l'espace dans leur regard, leur peau était pareille au métal. la lumière du soleil éclatait partout...
Mais c'était le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des hommes n'avaient plus d'importance. Un pays pour les pierres et pour le vent, aussi pour les corpions et pour les gerboises, ceux qui savent se cacher et s'enfuir quand le soleil brûle et que la nuit gêle...
Mais c'était leur vrai monde, ce sable, ces pierres, ce ciel, ce soleil, ce silence, cette douleur, et non pas les villes de métal et de ciment, où l'on entendait le bruit des fontaines et des voix humaines. C'était ici l'ordre vide du désert, où tout était possible.. »