Marcher en silence, des heures durant, n'est pas chose aisée, comme le constaterons les plus volubiles. Mais peu à peu le silence impose sa présence. L'attention se fait plus subtile. Le silence extérieur appelle au silence intérieur.
Marcher au rythme de ceux qui nous précèdent demandent aussi quelques ajustements. Selon la taille de la personne, tantôt il faut allonger le pas, tantôt le raccourcir ou diminuer sa vitesse. Quand le rythme est enfin pris, les corps tendent à se rapprocher. Quand le pas se ralentit, le paysage s'offre à nous avec une intensité rare. Rien n'interfère entre soi et la jouissance des couleurs, des senteurs, des sons, de la température, toutes sensations qui nous unissent à ce moment avec la terre que nous foulons sous nos pieds. Me reviennent ces vers d'Alphonse de Lamartine: "Quand tout change pour toi, la nature est la même et le même soleil se lève tous les jours".
Je marche sans effort. Mes pas s'accordent avec la lenteur. La lenteur me va bien. Aller plus lentement permet de voir et d'apprécier pleinement la diversité et la beauté du monde. J'ai besoin de cette lenteur qui parcourt la totalité de l'être. Je me glisse dans l'ombre projetée devant moi. J'observe sa silhouette qui balance de droite à gauche selon les mouvements du terrain avant de revenir au centre. Jamais elle ne me quitte. Tant que le soleil me tourne le dos, elle m'indique le chemin. Lui faire confiance et lui porter l'attention qu'elle ne réclame pas. C'est tout le jeu de l'inconscient qui est ici à l'oeuvre.
Répondant à un signe d'Entayent, le groupe s'est immobilisé. Sans presser le pas je rejoins Bernadette. Entayent va de l'un à l'autre et propose quelques dattes. Un mélange de fruits secs circule de main en main pour le bonheur des organismes en panne d'énergie. Mon attention est attirée par un tout petit caillou blanc, presque translucide, perdu au milieu d'un amoncellement de roches grises. Je le saisis et le donne à ma douce. Il est identique à celui qu'elle avait trouvé la veille sur le chemin. C'est le trésor du jour, le trésor du silence qui est au fond de soi.
Et je lui donnerai un caillou blanc
Et sur ce caillou un nom nouveau
que personne ne sait
sinon celui qui le reçoit
(Extrait de l'Apocalypse de Jean, cité par Christian Bobin dans "L'enchantement simple", Poésie / Gallimard)