mercredi 17 décembre 2008

Entayent, le sage du Hoggar

Il a vécu les grandes caravanes avec l'aîné de ses frères. 300, parfois 1000 chameaux se mettaient en route pendant de longues semaines (40 jours) pour rejoindre les Salines du Niger. Ils emportaient avec eux de l’orge, du maïs, des légumes, de la viande séchée, mais surtout du mil, en grande quantité, qu’ils troquaient contre des pains de sel. Il n'avait encore que 14 ans et le désert, surtout la nuit confie-t-il, lui faisait encore un peu peur. On racontait qu'un caravanier égaré dans le vent de sable à la recherche d'un puits avait échappé à la mort en s'abritant dans le ventre de son chameau qu'il avait dépecé pour boire le contenu de son estomac. A la tombée de la nuit, Entayent nous raconte cette épopée, à laquelle il a participé à 4 reprises, avec un brin de nostalgie.


- Allez les athlètes, on change de place.
Quand Entayent, sourire aux lèvres, lance ce bref appel dans notre direction, nous savons que le moment est venu de se mettre en chemin.

Emboîter le pas d'Entayent est un régal pour les yeux et pour le coeur. Sa démarche féline et son allure noble sont une invitation au silence. Les sandales légères qu'il porte aux pieds contrastent avec les aspérités du terrain. Son pas régulier semble comme suspendu entre terre et ciel, les deux éléments qui composent le paysage. S'il s'arrête un bref instant, c'est pour déplacer un rocher qui encombre le sentier qui sera emprunté tout à l'heure par la caravane des chameaux ou pour dresser un petit tas de pierres indiquant la proximité d'un point d'eau.


Quand il marque la pause, c'est parce qu'il a estimé qu'elle serait la bienvenue à ce moment de la journée ou qu'il veille sur les retardataires. Les temps d'arrêt les plus longs offrent la meilleure vue. La découverte du passé ou le plaisir de l'instant nous sont donnés comme des cadeaux du ciel. Un troupeau de gazelles passe furtivement, les ânes sauvages tendent l'oreille au vent et la petite fleur niche au creux d'un rocher.

D'un seul regard, il embrasse le paysage, les gens, attentif au moindre détail. Il scrute au loin la piste, les montagnes, un acacia ou un caillou en travers du chemin.Il organise dans sa mémoire un itinéraire qu'il a déjà expérimenté et qu'il reconnaît au fur et à mesure qu'il met ses pas dans ses pas anciens.
Dès que nous arrivons à l'endroit du bivouac, il va prendre des nouvelles de la caravane. Il adresse quelques mots en berbère à à ses compagnons, Il s'enquiert de l'endroit où les chameaux pourront refaire leurs forces durant la nuit, il donne un coup de main pour monter la tente ou la fixer avec des grosse pierres, il répare un lien en usant des ses orteils comme d'un outil précieux.


Il parle peu. Aucune action, aucun geste ne paraît superflu à cet homme de 68 ans (il est né en 1941, m'a dit son fils Slimane lors d'une conversation au coin du feu). Il parcourt le désert depuis l'enfance. Ses quatre garçons travaillent avec lui. Même quand il frappe d'un coup sec un chameau pour lui donner un ordre, le geste est juste parce qu'il s'accorde avec la vérité de l'instant.

Il ne délivre aucun message. Comme le dit si bien notre ami Karl:
"Sa démarche est une leçon de vie : parfaitement régulière, il ne dépense pas une once d’énergie plus que nécessaire et il est infatigable. Mais ce qui est le plus marquant chez lui ce sont ses qualités humaines : l’attention à l’autre, la disponibilité, la patience, la gentillesse. En le regardant on a une illustration vivante de ‘"faites ce que vous paraissez faire" : quand il marche il marche, quand il s’occupe de la caravane, il s’occupe de la caravane … Aucune précipitation mais ce qui doit être fait est bien fait." Avec lui, les gestes simples sont beaux.

Quand notre amie Annick, en fin de parcours, est victime d'une luxation du genou, il la porte sur ses épaules, il la met en selle sur son meilleur chameau, il lui masse la jambe avec un onguent dont il a le secret.


De temps à autre il s'offre un petit peu de repos. 4 fois par jour, discrètement, il se tourne vers la Mecque pour effectuer discrètement sa prière. Sa bonté n'a d'égale que sa jovialité. Quand quelqu'un lui demande s'il n'est pas un peu las de voir toujours le même paysage, son visage s'illumine encore davantage comme pour mieux dire combien il aime cette terre dont il est aujourd'hui l'un des derniers témoins. Même s'il espère secrètement que ses fils Slimane et Abdelkader prennent la relève, il sait que le portable a changé le rapport au désert et que rien ne sera plus désormais comme avant.

Certains oseront le rapprochement avec Swamiji Prajnanpad. Non que les deux hommes aient une apparence physique semblable. Simplement cet homme porte en lui toute la sagesse des hommes. Si Dieu le veut, nous nous reverrons. Inch Allah!