samedi 20 décembre 2008

La montagne sacrée

Il s'appelle Zbyszek Nerlevovitch. Il est polonais. "Plombier polonais", dit-il en plaisantant. Il n'a pas encore trente ans. Il était travailleur social dans les quartiers diffficiles d'une petite cité ouvrière. Il a tout quitté pour vivre une vie de prière et de contemplation aux cotés du Père Edouard (81 ans, dont 36 à l'Assekrem) et du Père Ventura. Pour combien de temps? Peut-être 5 ans. Il a remis son destin entre les mains de Dieu.


C'est lui qui nous accueille au sommet de l'Assekrem en cette fin d'après-midi de Novembre. Nous sommes immédiatement subjugué par l'assurance de sa voix et la bonté de son regard. Il nous raconte, dans un français parfaitement maîtrisé, la vie de Charles de Foucauld et l'activité intense qui fut la sienne dans cette région du Hoggar entre 1904 et 1916. Etabli entre deux ermitages: l'un à Tamanrasset, à 300 mètres d'un village de 100 habitants, dans un large cirque entouré de hautes montagnes, carrefour des caravanes en provenance du Niger, et l'autre plus sévère, l'Assekrem, à 60 kilomètres de Tamanrasset, à 2700 mètres d'altitude, dans la beauté minérale des pics déchiquetés du Hoggar avec des campements Touaregs dans les vallées voisines. Charles de Foucauld y séjournera seulement de Juillet à Décembre 1906; son assistant ne supportait plus les rigueurs de l'hiver.

Zbyszek nous invite à nous rendre à l'extrémité du piton rocheux pour admirer le coucher du soleil.


" Je suis absolument seul au haut d'un mont qui domine presque tous les autres et le noeud orographique du pays; la vue est merveilleuse, le regard embrasse le massif de l'Aaghar qui va descendant vers le Nord et vers le Sud jusqu'aux immenses plaines désertes. Dans les plans rapprochés, c'est un enchevêtrement le plus étrange de pics, d'aiguilles rocheuses, de roches à forme fantastiques et amoncelées. C'est une belle solitude que j'aime extrêmement; aux environs, il y a un grand nombre de ravins qui, dès qu'il pleut, se couvrent d'herbe parfumée, et aussitôt les Touaregs y plantent leur tente pour boire le bon lait de montagnes." (lettre de Charles de Foucauld à son ami d'enfance, 7 juin 1911)

"Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu: c'est là qu'on se vide, qu'on chasse devant soi tout ce qui n'est pas Dieu et qu'on vide complètement cette petite maison de notre âme pour laisser toute la place à Dieu seul... C'est un temps de grâce, c'est une période par laquelle toute âme qui veut porter des fruits doit nécessairement passer. il lui faut ce silence, ce recueillement, cet oubli de tout le créé, au milieu desquels Dieu établit son règne et forme en elle l'esprit intérieur... Plus tard, l'âme produira des fruits exactement dans la mesure où l'homme intérieur se sera formé en elle. (Lettre au Père Jérôme, trappiste de Notre-Dame des Neiges, le 19 mai 1898).


Charles de Foucauld n'a jamais cessé d'être un explorateur. Sa référence: François d'Assise. pour les Touaregs, le missionnaire s'est trouvé un nom d'apôtre: Abd Issa, serviteur de Jésus. Mais sa déception est grande lorsqu'il confie en 1915: "Il y aura maintenant dix ans que je dis la messe, et pas un seul converti."
Il fait construire un oratoire de 1,40m de large, de 2,10m de long, et un abri pour Paul, son compagnon. Le jour il cultive un petit potager et il travaille d'arrache-pied à son dictionnaire Touareg-Français. La nuit, il prie "dans la pauvreté, la sainteté et l'amour, en faisant au prochain tout le bien spirituel et matériel que permettent les faibles moyens et qu'inspire la charité du coeur de Jésus." (Diaire, 17 mai 1904)


A l'invitation d'Alain et Corinne, nous gravissons, à 4h du matin, le chemin qui conduit à l'ermitage. Pendant près de deux heures nous restons restés prostrés en silence, dans la nuit froide. Le jour se lève enfin et le soleil entame son lent mouvement, s'harmonisant avec les premières lueurs de l'aube. Après un temps de prière, Zbyszek nous offre le thé de bienvenue. Il nous parle de sa vie à l'Assekrem et l'immense bonheur qu'il a d'être ici avec ses frères. Nous vivons la messe au coeur du petit oratoire. La ferveur et la présence de Ventura, l'officiant espagnol, est simplement communicative. Chaque mot, chaque geste est rempli de cette vibration tellement absente de nos églises. Il termine ce temps de prière par cette simple question que chacun se pose au terme de sa vie: "As-tu aimé?" Nous sommes profondément touchés par la force des ces hommes de Dieu remplis de cette joie simple. "Ils vivent ce qu'ils disent", souligne Alain. Ils sont frappés en retour, disent-ils au cours de l'échange que nous avons avec eux, par la dignité du groupe que nous formons. La veille, plus d'une centaine de touristes, en provenance directe de Paris, étaient venus assister au lever du soleil en 4x4.


Le Père de Foucauld est mort le soir du 1er Décembre 1916, assassiné devant son ermitage de Tamanrasset, par des pillards Senoussis. Pieds et mains entravés, priant dans le silence, il est tué d'une balle dans la tête par le jeune garçon qui le gardait, au cours d'un moment de panique. Il a été béatifié le 13 novembre 2005.