Une bosse, un blatèrement, apparaissent les chameaux, nos compagnons de route sans qui cette aventure ne pourrait avoir lieu.
Azelraf, c'est le nom donné communément aux chameaux dans cette région Touareg. En réalité ce sont des dromadaires. Ils sentent fort et sont parfois bruyants, surtout quand on les charge d'au moins cinquante kilos de chaque coté du bât. Sacs de voyage, bâches, tentes, couvertures, ustensiles de cuisine, vaisselle, boîtes de conserve, légumes et fruits, bidons d'eau et d'huile, matelas roulés... tout ce dont nous avons besoin pour vivre en autonomie complète pendant dix jours.
Chargés, une claque ou un claquement de langue les fait se lever. La caravane s'ébranle et les 14 chameaux avancent à la queue leu leu d'un pas lent, ample et balancé . En tête du cortège, Abdelkader tire la longe placée dans la narine droite de l'animal. Parfois il trône fièrement sur le chameau qui ouvre le chemin.
Un long cri plaintif est le signe qu'un chameau est en difficulté. Une charge mal attachée se défait, le chameau rue et se débat de ce sac qui gêne sa marche, provoquant un lent arrêt de tous ses congénères. Il s'agit de baraquer sa bête pour resseller et refaire la charge. Quand tout est rentré dans l'ordre, la caravane peut reprendre la route.
Abdelkader, Abdou, Oussene et Slimane sont chameliers. Ils chargent et déchargent les chameaux à chaque halte, tirent l'eau des puits pour les abreuver, toujours avec lenteur et méthode. Les chameaux boivent dans l'aguelmam, une tenue d'eau naturelle. Parfois cependant il faut creuser dans le sable de l'oued jusqu'à la nappe souterraine.
Les chameaux approchent lentement de leur démarche rendue maladroite par l'entrave qui leur lie les pattes antérieures. Il n'est pas rare de les voir dévorer les branches d'un abser, sorte d'acacia aux épines longues et dures qui offre un abri du soleil. Ils saissisent les rameaux à pleine gueule qu'ils broient entre leurs mâchoires aux dents jaunâtres. Il se nourrissent aussi du fenouil qui pousse un peu partout, en touffes arrondies, sur le talus des oueds, virant du vert tendre au jaune le plus pâle selon la saison. Ceux qui nous accompagnent ont aussi droit à une attention particulière. Pour les récompenser de leur dur labeur, nos chameliers étalent chaque jour une ration de blé tendre ou de dattes pilées.
Avant la tombée de la nuit, le chamelier de garde quitte le campement, une couverture sur les épaules. Il va dormir à l'autre extrémité de l'oued, prêt à rabattre les chameaux vers le bivouac. Car la nuit les chameaux se nourrissent, refont leurs forces pour le lendemain. Ainsi se passe la nuit pour Abdelkader, à sommeiller, à compter les bêtes, à attendre sous les étoiles que le jour se lève enfin. Au matin il revient au bivouac, impatient de retrouver ses amis, de pouvoir réchauffer ses membres engourdis et de boire une première gorgée de thé autour du feu avec ses compagnons.
Quand la situation l'impose (n'est-ce pas Annick!), un chameau dressé reçoit sur le replat avant un tapis de selle (asetfar) et une selle sanglée sous le ventre recouverte d'une couverture. Un pied posé délicatement dans l'encolure (le second permettant de s'équilibrer contre le flan de bête) le cavalier doit s'abandonner aux secousses brutales lorsque le chameau consent à se mettre debout. Mais quel bonheur!
Un jour nous fûmes témoin d'une situation qui nous paru étrange. Alors que l'un des chameaux pleurait sous la charge, amaigri et épuisé, Entayent, sans dire un mot, le défit de son portage, ôta les liens et le laissa derrière nous dans l'oued. Les interrogations allaient bon train. Qu'allait-il devenir? Rejoindrait-il le bivouac par ses propres moyens? Viendrait-on le rechercher à la tombée de la nuit? Nous apprîmes le lendemain de la bouche d'Entayent que le sort de la bête était désormais entre les mains de Dieu. Ou bien elle trouverait seule la force de se reconstruire au fil des semaines à venir grâce à ce que la nature saurait lui prodiguer ou elle succomberait et serait la proie des rapaces. Les carcasses que nous croisons parfois sur le chemin témoignent de la dureté de la vie.