Il s'appelle Christian Bobin, Il est né en 1951 au Creusot, ville étape de la ligne TGV Paris-Lyon. "Dans le lieu où j'habite, on doit être à 50 mètres à vol d'oiseau de l'endroit où je suis né". Ses parents étaient de modestes ouvriers.
Il y a quelques semaines encore, son nom m'était étranger. Et puis un jour, sur un blog ami, j'ai découvert quelques phrases extraites de son oeuvre. J'ai parcouru les librairies modernes et anciennes en quête de quelques titres évocateurs: "L'enchantement simple", "La lumière du monde", "Le Christ aux coquelicots". Par chance un ami bouquiniste possédait la plupart des livres disponibles dans la collection "Folio" Gallimard. J'ai embarqué le lot sans hésitation et je me suis empressé de lire, à la suite et souvent d'un seul élan au milieu de la nuit, une grand nombre de ses ouvrages.
J'ai aimé le regard simple et la force pure d'"Une robe de petite fête",
J'ai adoré suivre Albain sur les traces du sourire de "Geai" ,
J'ai cherché dans le visage de la jeune mère "La part manquante" de tout amour,
J'ai croisé le destin d' "Isabelle Bruges",
J'ai vibré à l'évocation de la vie de St François d'Assise dans "Le Très-Bas",
J'ai succombé à la passion amoureuse pour "Louise Amour",
J'ai épousé la jeunesse d'Albe, l'héroïne de "La femme à venir",
J'ai écouté les paroles réveillées et recueillies par Lydie Dattas dans "La Lumière du monde",
J'ai été intimement touché par "La plus que vive", hommage rendu à son amie Ghislaine, morte à 44 ans d'une rupture d'anévrisme. Oraison funèbre, chant d'amour flamboyant et formidable hymne à la vie.
"Ressusciter" raconte la relation de deux êtres qui s'éloignent peu à peu; "J'ai pendant un an rendu visite à mon père dans la maison où sa mémoire jour après jour rétrécissait comme une buée sur du verre, au toucher du soleil. Il ne me reconnaissait pas toujours et cela n'avait pas d'importance. je savais bien, moi, qu'il était mon père. il pouvait se permettre de l'oublier. il y a parfois entre deux personnes un lien si profond qu'il continue à vivre même quand l'un des deux ne sait plus le voir". Et plus loin: "L'amour est le miracle d'être un jour entendu jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse: la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse".
Les récits de Christian Bobin se situent entre roman, journal, essai et poésie. Ils ont cette particularité d'être très bref et de témoigner d'un itinéraire philosophique hors du commun.
La solitude, il en a mesurer le poids et la durée. "J'ai été seul pendant deux mille ans -le temps de l'enfance". "Prisonnier au berceau", le jeune Bobin n'a d'autre choix que de rêver d'un ailleurs: "J'ai toujours habité deux villes: le Creusot et la ville qui est au-dessus des nuages".
Christian Bobin est un écrivain secret, en marge des médias, des modes et de la littérature traditionnelle. Un écrivain du coeur, amoureux de la nature ("un livre ouvert en permanence"), soucieux de maintenir en toutes circonstances "l'espoir du paradis".
Plus proche de Le Clézio, auquel il s'apparente ( écriture limpide, choix des mots, précision du vocabulaire) que de Sollers. "Ecrire, c'est prendre les mots un à un et les laver de l'usage abusif qui en a été fait. Il faut que les mots soient propres pour être bien utilisés".
S'il n'aime pas Beckett ("le néant planté en plein milieu de la pièce") ou Cioran, c'est parce que "certaines oeuvres soi-disant rebelles ne font qu'ajouter au chaos du monde". Même Baudelaire ne trouve pas grâce à ses yeux, parce qu'il est " l'exemple même de ces écrivains qui égarent parce que leurs erreurs sont mêlées à une beauté et un don incontestables". Il dit son admiration pour Rumi, "le poète des poètes", le grand maître de la mystique soufie du XXIIlècle siècle.
Il ne supporte guère les conventions du monde. Son regard distancié sur le monde d'aujourd'hui et la vie de ses contemporains est sans concession: "Il y a des endroits dans le monde dont la simple vue nous décolle l'âme tellement c'est triste: ce sont les endroits où l'argent a tué l'âme". Il n’est d’aucune école, n’a pas de disciples connus et se moque de ce que l'on pense de lui.
Son credo: la simplicité, l'humilité, la bonté. "Ma vision se nourrit de peu de choses: d'un peu de mousse sur un muret, de fissures entre les pavés". L'écriture est alors un voyage au coeur de soi-même: "Mon pays est minuscule: il fait vingt et un centimètres de large sur vingt neuf centimètres de long. ma région c'est la plage blanche et elle seule. c'est un beau pays couvert de neige toute l'année et parfois traversé de pluies d'encre". La musique, particulièrement celle de Bach ( "c'est une rose"), l'accompagne dans sa recherche de la vérité qui se confond avec l'amour. "La recherche de l'esthétique, de la beauté et de la perfection sont l'âme de l'écrivain. Sans quoi ce ne sont que de vulgaires marchands imbus d'eux-mêmes".
"Aimer quelqu'un, c'est le lire. Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un volume de la Pléiade". Cette déclaration d'amour sonne comme comme un couperet. Hostile aux dogmes de la théologie et aux systèmes philosophiques, ne déclare-t-il pas: "Les conversations les plus inouïes que j'ai connues, c'était en m'agenouillant à coté d'un enfant, de façon à ce que ma tête soit à la hauteur de la sienne".
Ecrivain mystique, poète Illuminé, diront certains. D'autres, au contraire, invoqueront " la simplicité et l'évidence de ses mots qui glissent à merveille des yeux à l'âme". L'âme d'un poète débordant d'amour pour la vie.