mercredi 25 mars 2009

Le Printemps du cinéma

D'un coté un jeune homme illettré qui, contre toute attente, va remporter 20 millions de roupies à un jeu bien connu en Occident: "Qui veut gagner des millions?". C'est le film de l'écossais survolté Danny Boyle, "Slumdog millionnaire".

De l'autre coté, un jeune sans-papier, venu de son Kurdistan irakien, prêt à risquer sa vie pour rejoindre son amie (dont il est amoureux) de l'autre coté du Channel. C'est le film du discret Philippe Lioret, "Welcome".

Qu'ont en commun ces deux jeunes hommes, a peine sortis de l'adolescence? Rien sinon de vivre leur destinée sans que rien ne puisse les arrêter. "C'est écrit", lit-on en exergue du film de Danny Boyle.


Jamel (Dev Patel) a 18 ans. Il est questionné violemment pour être arrivé en finale du jeu "Who wants to be a millionnaire" dans la banlieue de Mumbaï (Bombay). Impensable disent les policiers goguenards et sûrs de leurs faits; Il a forcément triché. Sans doute a -t-il même bénéficié de complicités. Il va bien finir par avouer. Avec sa coréalisatrice Indienne, le réalisateur du brillant Trainspotting se jette à corps perdu dans une histoire qui nous plonge au coeur des bidonvilles de Bombay. Le subterfuge de l'écriture permet de retracer divers épisodes de la vie du jeune homme, depuis le massacre perpétré de sa jeune mère musulmane par des hindous intégristes jusqu'à la rétention contre son gré de sa jeune amie par un groupe de tueurs sans scrupules. J'en passe et des meilleures. Un série de poncifs et de clichés comme en raffole le cinéma Indien. Et bien sûr une happy end, puisque notre héros(?) va quand même remporter cette finale dans des circonstances assez invraisemblables et empocher le gros lot. Nos deux tourtereaux vont enfin pouvoir vivre leur love story sous le regard attendris de millions d'indiens qui rêveront, à leur tour, de semblables destinées.

De Bombay, on ne voit que les riches studios de Bollywood, dirigés par son animateur-producteur fétiche, peu enclin à la compassion. Quand il essaie d'induire en erreur notre jeune candidat, on soupçonne qu'il n'en est pas à sa première arnaque. Quand aux bidonvilles dans lesquels la caméra s'immisce de façon peu ragoûtante, ils servent de faire valoir et de décor à une histoire dont on tire toutes les ficelles, fusse au mépris de ce qui constitue le refuge de millions d'âmes dont la morale n'est pas à vendre.

Malgré toutes ces invraisemblances, on se laisse facilement emporter par le rythme du film, le jeu convaincant des acteurs, la musique entraînante, les couleurs, l'ambiance peu habituelle pour ce genre de film. Pas de chorégraphie mièvre (sauf pour le générique de fin), un rythme soutenu comme dans les meilleurs films américains et japonais. Car il s'agit avant tout de divertir le spectateur, de lui en mettre plein la vue. Le scénario misérabiliste ne change rien. Et cà marche, le temps d'un film qui ne laisse derrière lui qu'une traînée de poudre, à l'image d'un film de série B américaine ou d'un western spaghhetti. Du pur divertissement dans une mégapole bouillonnante de misère et de violence. "Slumdog millionnaire" a remporté 8 Oscars, dont celui du meilleur film, en 2008.


Bilal (Firat Ayverdi) lui, a 17 ans. Sa première tentative pour quitter son pays a été contrariée par des militaires locaux qui lui ont fait subir un véritable cauchemar en lui recouvrant la tête d'un sac plastique pendant une semaine. Comme tous les candidats à l'exode, Il a du payé 500 euros à un passeur véreux. Lorsqu'il se retrouve à bord d'un camion la tête enfermée dans un sac plastique pour ne pas être repéré par les détecteurs de CO2 des services de la douane, la toux qu'il ne peut réprimé entraîne l'échec de la traversée, pour lui et les autres clandestins embarqués dans cette aventure. Rien cependant ne semble pouvoir arrêter le candidat au passage qui veut à tout prix donner corps à son rêve: devenir un jour footballeur dans le célèbre club de Manchester, au cotés d'un Ronaldo pointant son doigt vers le ciel en signe de victoire. Avec l'aide d'un maître nageur sauveteur (Vincent Lindon, bouleversant de présence et de retenue) il va tenter l'impossible: rejoindre les côtes anglaises à la nage. Plus de 10 heures de traversée dans une eau à 10 degrés,en dépit des courants, des tankers et des bateaux qui patrouillent à grande vitesse. Il échouera à moins de 800 mètres du but rattrapé par des garde-côtes zèlés remplissant leur mission.

De Calais, on ne voit que des quais, des docks, des bureaux, des flics, un appartement, un supermarché, des plages à n'en plus finir, des tribunaux qui jugent à la va vite, dans le seul but que la ville ne devienne pas un camp de réfugiés en situation irrégulière. Et cet homme ordinaire qui, touché lui-même dans sa vie de couple ratée, se lance dans une aventure illégale, sévèrement réprimée (cinq ans de prison à quiconque vient en aide à un clandestin) comme pour se racheter une conduite, pour dire qu'il existe lui aussi et qu'il peut être utile à ce jeune homme (ce fils qu'il n'a pas eu) qui a fait 4000 kilomètres pour rejoindre celle qu'il aime alors qu'il n'a pas été fichu, lui, de traverser la rue pour retenir sa compagne.
Constat cruel, réalité amère, que Philippe Lioret (le réalisateur inspiré de L'équipier, Mademoiselle et Je vais bien, ne t'en fais pas) filme avec sensibilité, pudeur et une grande tendresse pour tous ses personnages, même ceux qui n'ont pas forcément le beau rôle. On sort du film bouleversé, touché au coeur, par cet élan de fraternité dont on voudrait bien être capable si on était dans pareille situation.

Deux films, deux auteurs, deux formes de cinéma. L'une extravertie, tout en démesure, enjôleuse, virevoltante, comme peuvent l'être les films indiens made in Bollywood. L'autre pudique, mesurée, rigoureuse, réaliste jusque dans les moindres détails, et poignante dans sa simple cruauté.
Deux destins. Deux manières d'être et de vivre dans le monde, au printemps de la vie.